Nombre total de pages vues

dimanche 28 novembre 2021

Papounet, Elsa et Zelie en vadrouille


Papounet. On l'appelait affectueusement Papounet. C'était le plus gentil des papas et c'était bien le problème. C'était un papa dans l'indécision permanente. Il n'osait pas prendre de décisions pour sa famille. Choisir lui coûtait terriblement. Il était parfois tellement en retrait qu'on pouvait oublier qu'il était dans la pièce. Sa femme et ses 2 merveilleux enfants le menaient littéralement par le bout du nez. Les marmots surtout faisaient la loi. Papa disait amen à tout.

"Un papa en dessous de tout" lui murmurait-on à la maison.

Comment dès lors ne pas s'emmurer dans une absence à soi-même et aux autres ? Il en laissait le soin à sa femme et même à ses 2 fils, respectivement 3 et 10 ans, lorsque sa femme était absente.

Ses fils l'appelaient "trois petits points" pour les immenses plages de silence dont il était coutumier. Sa femme s'interrogeant à voix haute sur la façon dont il avait bien pu "faire bac + 5". C'était pour elle une énigme. Elle lui rétorquait toujours qu'elle ne supportait plus d'avoir "3 petits garçons" à la maison.

Papounet avait pourtant eu des tas de projets, des projets plein la tête, mais il n'avait pas su les mener à leur terme. Sa femme moquait ce goût pour l'idée, la création pure. A tout bout de champs elle le raillait en présence de ses fistons.

"ouarf ouarf papa et ses projets.... Mais où est l'argent le père ?

Evidemment ppur elle une idée n'avait rien de noble, ça valait 1 euro tout au plus. Ca leur servirait à quoi ? Même pas payer une "tradition". Lorsqu'elle revenait de chez un des leurs amis habitant une maison sur les hauts de Suresnes, elle ne manquait jamais d'asséner :

"J'ai honte quand je reviens de chez tes amis, regarde où tu nous fais vivre"   

lls habitaient un joli 2 pièces de 44 mètres carrés qui obligeaient les parents à dormir dans le salon. Les fistons se partageaient la chambre. 

Usé par la répétition, perdant pied et le peu de confiance qui subsistait en lui, Papounet s'affaissa, perdit pour commencer son travail, alimentaire, puis se recroquevilla sur ses peurs bien réelles dans cet appartement qu'il avait pourtant acquis à la sueur de son front, qui était même déjà remboursé. Ils étaient dans le plus bel endroit du monde, au pied des Buttes Chaumont. Mais rien ne trouvait grâce aux yeux de son épouse. Tout était médiocre à ses yeux.

Il avait désormais tellement peur, y compris de son ombre, qu'il ne sortait plus de chez lui. Quand les enfants ont peur du noir, lui redoutait à présent jusqu'à la lumière du jour, le vaste monde extérieur le déstabilisait. Tout était bon pour rester cloitré.

Il était au garde à vous pour les tâches ménagères, la vaisselle, la machine, le repassage, pour les devoirs, les anniversaires, les jeux. Puisqu'il était devenu un énième meuble dans ce petit espace.

Il acquiesçait. Il acceptait. Sans broncher.

Et puis un matin, au début de l'été, sa femme avait décidé sans lui en parler de partir en vacances avec ses fils chez une cousine installée sur l'Île de Beauté. Tous trois partirent et il resta seul. Il se sentit profondément seul, inutile et pire : transparent.

Il en résulta un profond désarroi, une lame de fond qui lui donna la force d'aller acheter en alcool de quoi assommer un Pottok. Ou deux. Il avait pourtant arrêté de boire et de fumer depuis plus de 2 ans.

Il procéda minutieusement. Verre après verre. Cherchant dans le suivant celui qui finirait le travail. Mais pour aller jusqu'où ainsi ? Quelles improbables limites cherchait-il à tutoyer ?

Il le fit si généreusement, si totalement, sans la moindre arrière pensée qu'il rouvrit les yeux au milieu de la nuit dans le couloir de l'entrée contre le Meuble qui soutenait le petit aquarium et ses deux habitantes.

Douleurs vives aux deux genoux, il avait dû tomber lourdement.

Il eut alors une révélation.

Voilà donc les seules habitantes de ce lieu qui le respectaient, le laissaient décider, choisir, se dit-il en rouvrant les yeux. Elsa et Zélie. Les poissons rouges de ses fils qui ne s'en occupaient guère et que Papounet choyait avec un sens profond du devoir.

Il aimait sentir l'excitation d'Elsa ou la retenue de Zélie tout au contraire, lorsqu'il s'approchait pour leur donner à manger, pour disperser une poignée de paillettes à la surface de l'eau ou lorsqu'il s'apprêtait à nettoyer l'Aquarium (elles avaient ce sixième sens qui leur faisaient comprendre quelques minutes avant ce qui se tramait à leur endroit).

C'est pourquoi il décida sur le champ qu'il lui fallait nettoyer l'aquarium, y trouver une énergie, un chemin pour ne pas sombrer à nouveau. Au diable le mal de crâne, les douleurs aux genoux, il se mit à la tâche mais sous-estima la décoordination de ses gestes, le décalage immense qui existait à cet instant précis entre sa volonté et ce que son corps était en capacité d'exécuter. Basse besogne.

BLANG CRASH SPLASH

L'aquarium des mille morceaux déclara sa flamme au carrelage. Elsa et Zélie suffoquèrent, gesticulant au milieu des décombres.

Dans la cohue, le tibia de Papounet fit connaissance avec un angle obtus d'un angle  d'aquarium. Ouverture et saignement. Ecartement et profondeur. 

L'eau et le sang. Le sang et l'eau. Une deuxième glissade. La douleur. 

Papounet n'en avait cure il était en mission. Pour Zélie, pour Elsa. Il se précipita dans la cuisine, chercha fébrilement deux petits sacs isotherme qu'il remplit consciencieusement d'eau fraîche. Pas trop froide. Chacun le sien. Zélie et Elsa furent sauvées. Pour un temps au moins.

Il devait maintenant penser à lui, à cette jambe entaillée, qui saignait abondamment.

Il ne sut jamais vraiment plus tard, après coup, dans quel sens s'enchaînèrent les évènements qui suivirent.

Probablement qu'un Taxi fut là pour commencer, qu'il eut la gentillesse de prendre un type pas vraiment  dans son état normal, plus de ce monde le temps le temps de quelque heures. Peut-être que la vue de ces deux petits sachets "poissonneux" serrés contre le petit coeur de l'homme en déroute avait attendri le chauffeur. Peut-être que le grand manteau qu'il avait machinalement endossé avait empêché qu'on ne lui vit tout ce sang maculant sa jambe nue bien emmitouflée dessous, vision qui aurait pu rebuter quiconque en toute autre circonstance.

Papounet fut accueilli à l'hôpital Saint Louis. Il fut recousu. Une jeune femme pour qui c'était une première. Elle s'en expliqua et lui fut marqué par cette douceur, cette volonté sincère de prévenir

"Vous êtes ma première suture

"je suis votre cas pratique hein.... Prenez soin de cette jambe, Ces deux là ont encore besoin de leur vieux papa, ajouta-t-il mollement en désignant les occupants des 2 sacs isothermes qui semblaient observer, inquiètes, la scène opératoire.

Puis Papounet fut, dehors, quelque part, sur les rebords du canal Saint-martin. Les lettres du Jemmapes l'aveuglaient. Il dut ôter ses lunettes, les nettoyer comme il pouvait à l'aide de son vieux tee shirt troué, celui qu'il utilisait pour dormir.

Il sourit, heureux d'avoir inventé la promenade de ses poissons rouges. C'était un pionnier en matière. Les chiens, les chats, tout ça c'était de l'histoire ancienne. L'avenir était aux poissons rouges. C'est ce qu'il leur murmura 

" L'avenir vous appartient les filles

En libérant Zélie et Elsa de leur petits cachots de plastique. Elle hésitèrent quelques instants à la surface cherchant qui sait, son regard, pour le remercier ou s'assurer que tout irait bien. Il les rassura d'un geste fragile de la main gauche avec le pouce levé.       

Il ne se rappelait pas comment tout s'était enchaîné ni depuis combien de temps il était penché sur son reflet dans le canal. Il se souviendrait toujours en revanche de l'apparition à ses côtés dans le reflet de cette jeune femme. De sa voix douce.

"Vous leur avez rendu leur liberté ?  

En se retournant, il avait acquiescé en reconnaissant la jeune femme qui l'avait recousu quelques heures plus tôt.        

"Je suis content que vous soyez là. Qu'est-ce qu'on fait ?

 "Qu'est ce qui vous fait envie ?

" je connais une bonne pizzeria ouverte toute la nuit? J'y allais plus jeune...

" Allons-y !

La suite leur appartint.

Il reprit le fil de sa vie au retour de sa femme et de ses deux petits hommes deux semaines plus tard et ne fut plus jamais le même.



    


dimanche 21 novembre 2021

Le bombardier de Bonamoussadi


Mon histoire commence de façon étrange. Par un vide, une absence, un néant, une occultation d'amour. D'amour maternel. Parfois, vous savez, mieux vaut ne pas avoir connu sa mère pour pouvoir se construire. Avoir connu sa mère qui n'en fut pas une vous oblige à vous reconstruire malgré elle. Cela vous étouffe d'un mille feuilles de difficultés dont chacun se serait volontiers passé. il vous faudra être tenace, patient, déterminé, méticuleux, pour avancer même à contre-courant, sans s'épuiser, sans renoncer. Une odyssée, une aventure dont on sort libéré , changé pour toujours, parfois un demi siècle plus tard. C'est mon cas, j'ai mis 45 ans à comprendre, à me libérer du passé.

J'ai longtemps vécu avec la conviction que je ne valais rien.  J'ai longtemps feint de ne pas savoir que je ne valais rien tout en le sachant. User de paraître en société pour donner l'illusion de l'assurance quand celle-ci n'est qu'un masque triste et sans joie. Persuadé à l'époque que même la lumière pouvait me traverser. Au point d'en collectionner des casquettes pour me repérer même en plein jour dans le reflet saturé des vitrines. Jusqu'à faire de ma voix ce son caverneux s'échappant d'une canalisation bouchée. Toute cette période allant de ma plus tendre jeunesse qui au fond ne se résumait qu'à cet adjectif... tendre.... malléable... tendre... Façonnable..  jusqu'à mes 20 ans ont été une longue phase d'observation pour attendre... attendre... le bon moment, celui qui me permettrait pour mon salut de déguerpir. Le beau-père qui ne m'aimait guère, mon "géniteur", comme ça que ma mère l'appelait, s'étant évanoui dans la nature avant même qu'on ait le temps d'avoir des photos de nous trois réunis... Un désastre annoncé. Je ne compte plus les fugues vers le bois de Meudon, les évasions. avortées à la tombée du jour,  les coups en retour, la chique ravalée, l'impatience et la compréhension muette ou source de la nécessité pour moi de couper les ponts filiaux pour m'en sortir. Couper les ponts, s'entailler les poings, se briser les phalanges, et trouver refuge sous des ponts. La boucle est bouclée.

J'ai commencé comme ça, sous le pont de Sèvres. J'étais jeune, j'étais con. A cet âge, avec un peu d'éducation, vous passez pour un original, un rebelle, un philosophe, un idéologue peut-être, Toujours est-il que de squat en squat, vous êtes accueillis, vous faites l'expérience d'une solidarité pas feinte.  Evidemment vous écrémez les lieux où des gens aisés vous donnent de l'argent pour se donner LA bonne conscience, où d'autres assouvissent leur rêve de coloniser les esprits les plus démunis, les plus en proie. Des gourous improvisés, trouvant là une matière rêvée pour donner libre corps à ses fantasmes de domination quels qu'en soient le prétexte, le masque de bienséance : révolution sanglante, dynamitage d'un système dont ils sont pourtant les plus vils exemples. C'est bien à la tête d'une multinationale du dessous, des sans abris, des plus fragiles, dans l'incapacité de se défendre par eux-même, qu'ils rendent possible leur utopie dévastatrice.

J'ai détesté découvrir que sous couvert de solidarité d'entraide, on pouvait se heurter à autant d'intolérance,  de haine assumée, d'embrigadement des esprits par les liens d'une doctrine sur le papier libératrice. Seulement sur le papier.  J'ai rapidement vu des volontés individuelles pour lever des armées d'en bas. Land of the dead, quoi d'autre ! Il faut pour cela endoctriner, zombifier, mettre au pas...

Dans un tel contexte, vous n'avez pas fui l'anti-mère pour vous coltiner la même aliénation sous d'autres empires. Quitter son obscurité pour s'envelopper dans la prochaine... Et un jour vous comprenez qu'on a peur d'entrer dans la lumière parce qu'on se regarde trop... Que le manque de confiance en soi est une excroissance de l'égo. C'est par l'affirmation de l'absence de son amour propre que notre extension est toute focalisée sur soi-même. Tout le travail devient celui de s'épaissir au monde en affinant son trait au point de pouvoir l'oublier. Plus le trait devient invisible, imperceptible, plus l'on existe. C'est tout le paradoxe.

Ainsi vais-je un jour, fort de cette intuition, décider de quitter ces squats, ces foyers, ces ponts rassurants, ces lieux sans lumière pour marcher, me déplacer seul, tout seul dans l'espace infini et sans limites de ma vie. Je commence par comprendre que n'avoir rien, ne rien posséder, c'est déjà exister, être léger, prêt au départ, n'importe quand. N'importe où. Être un roseau pensant, nomade. Il suffit d'un point de départ. Quand tu bois ton premier verre, l'objectif est le suivant, jamais le dernier... Boire c'est défier le taureau, c'est sentir jusqu'où tu trompes la mort et dans quel état tu finis. Au fond. Rester à moitié plein, tout le temps. le défi est là. "Le dernier pour la route", c'est un mensonge inventé par les peureux, les matérialistes, les comptables d'une vie au rabais. L'alcool et la Corrida. C'est un même combat.  

On n'a jamais vu un coffre-fort suivre un cercueil. 

D'une certaine façon, mon exclusion de la société est a présent oubliée, pleinement digérée, assumée, elle obéit à une trajectoire de libération, de révélation, le processus sans effort du papillon s'extrayant de sa gaine de vie, de son cocon, de ses contentions.

Je suis au monde, je n'ai plus ni couleur, ni cordon, j'ai cet objet, une pièce de 100 francs CFA, ma boussole. Trouvée dans un vieux baise-en-ville que j'ai également conservé. un seul mot d'ordre : l'évaporation au grand air de l'Ego : voilà qui redonne ses couleurs à l'homme ses valeurs son courage le sens de sa vie. Voilà ce qui va s'imposer naturellement à moi vers la lumière de laquelle je m'habillerai pour exister pleinement, en me sachant elle, en la sachant moi. Une évaporation nécessairement opérative au grand jour. Les murs sont des impossibilités, le foyer n'est naturel que le temps de la fertilisation des sols, que le temps des cerises et des moissons, que le temps des naissances. Une fois la récolte achevée, pourquoi ne pas s'en repartir ? Se ré-enraciner ailleurs. Plus les racines se multiplient plus le tronc de vos vies est solide et souple, vivant et offert aux 4 vents. Multidirectionnel.

J'ai décidé de ne rentrer dans aucune case. Je vis dehors et je me déplace. J'ai un but. Je suis un sans abri fixe, mes abris sont multiples, mobiles. Je suis un apprenant, un apprenti qui apprend tout de tout et de tout le monde. Je suis un émerveillé, je m'émerveille. Je mets merveille à toutes mes pensées. Je refuse une vie d'expertise, de sédimentation, d'accumulation, je sais d'intuition que l'accumulation engendre la gravité, que le seuil critique de cette dernière déforme l'espace temps, engendre, intime, le trou noir qui absorbe tout, d'où même la lumière ne s'échappe plus. Le sentiment de perte à l'idée de la fin de nos vies terrestres. j'expire toute idée d'expertise. "ex perte", je laisse les pertes aux devanciers, aux consommés, je laisse les fins à ceux qui veulent se rassurer. La question n'a jamais été le dernier verre mais le prochain et ma capacité à m'y rendre sans faillir. Sans quitter la table.

On n'a jamais vu un coffre-fort suivre un cercueil.

C'est une phrase qui revient souvent, je ne sais plus où j'e l'ai entendue. J'ai commencé une marche, dormant dans les bois, dans les forêts. Le périple commence au mois d'avril. Et je descends et je descends. et je ressens les sons et les odeurs de Dame Nature partout où je vais je me fonds et je m'incline et je m'absorbe et j'existe à nouveau. Sous la protection des cieux, des jours et des nuits s'enlaçant, sans cesser, je ne suis plus transparent. Je suis. J'essuie de la manche ce qui m'empêchait de me voir. D'aimer voir que je suis ce que tout est. Là est le secret. A chaque jour une renaissance, à chaque nuit une redécouverte, à chaque instant une communion.

L'on apprend à se repérer avec la complicité du ciel, l'on y reconnaît par effet de miroir les chemins où s'appesantissent les végétaux, où passent les animaux, où paissent les colères les moins avouables, où le moindre courant d'air vous coupe le souffle, vous retient contre vous-même, où le plus petit pied d'arbre se laissant dévorer du regard vous désigne le sud par son exposition la plus mousseuse.

J'étais obèse, frappé de maladies articulaires, des maux de vieux. Voilà que mon physique par l'exigence que lui imposait la marche tranquille se requinquait. Visiblement.

J'étais plus léger, je suis alerte, je fus libre et dormirai à la belle étoile, je laisse en toutes circonstances les moustiques se régaler de mon sang. Je leur murmure sans cesse d'une voix inaudible : ceci mes gaillards est mon sang. Me comprenaient-ils ? Ils peuvent s'en régaler autant qu'ils le souhaitent. Ma circulation est bien meilleure. Mes varices ? De vieux souvenirs, mes chers souvenirs. Il exultait mon corps. Il se requinquait visiblement. Mon espagnol s'améliorait à la même vitesse, au moins pour les rudiments qui permettent un approfondissement des relations avec Autrui. Se comprendre sur l'essentiel. Je fis ponctuellement des plonges, des vendanges lorsque c'était possible et lorsqu'on voulut bien de moi. Mes mains devenaient rugueuses et brûlantes. Le temps des cerises en la mimant rejoua l'éternelle séparation. D'avec l'été, d'avec la jeunesse, d'avec l'être aimé, d'avec mon encombrant passé. Cuite, hauts le coeur, vertiges, corps enlacés, exultation d'êtres grisés par la saison des amours. Le brame et le bois qui s'entrechoquent dans un champ de maïs bien mûrs. Le chant des champs caressés par l'impétueux vent d'Ouest.

Puis je traversai Santa Maria Del Berrocal comme une ombre. Pélerinage respectueux sur le lieu de naissance de Mamie Geneviève. La mère de mon grand-père maternel. J'avas retenu qu'elle y était restée très peu de temps avant de passer sa jeunesse en Argentine puis au Pays Basque à son retour lorsqu'elle avait eu 18 ans. Elle riait, elle aimait rire, mais elle était dure. C'est ce que j'en avais retenu. Drôle et dure. Drôlement dure. Grand sourire, mais carnassier, la dent sèche. Elle avait révélé pour ses 107 ans, la recette de sa longévité : 5 minutes de fou rire par jour, sans rien dévoiler de ses secrets d'alcôve pour le reste de la journée. Rien que du caillou, j'en étais sûr. J'avais senti qu'il en fallait de l'ego et de l'esprit de vengeance pour vivre longtemps, pour voir loin. Pour se projeter jusqu'au désert, jusqu'à ce qu'on ait enterré Dieu et ses semblables. Je me fis l'effet dans cette ville fantôme hantée par les chiens de l'enfer, leurs hurlements à la mort dès que vous longiez la clôture, que vous approchiez leur propriété, leur "chez eux",  d'être à nouveau exclu de la société. Leur société. J'étais le séparé du tout, j'étais l'essentialisé par le sort que l'on réserve au dormeur dehors claudiquant le temps d'un pèlerinage nocturne sur les traces idéalisées d'une Mamie Geneviève que je n'ai rendez-vous compte même pas connu.

Je me fis la promesse de descendre jusqu'à l'endroit où cette pièce de 100 Fcfa me servirait à quelque chose. Pour redonner du sens à cette propriété, à la charge que l'on porte sur mes épaules, dans mes poches déformées, trouées. A quoi m'aurait servi cette pièce entre Santa Maria Del Berrocal et la Catalogne ? 

Une halte à Albox et ses maisons troglodytes. Révérence à toutes les arrières arrières grands-mères dont je pressentis que certaines, maternelles dans l'âme, avaient pu sans ciller se laisser mourir de faim pour laisser vivre leurs descendances. L'endroit était trop aride, trop inhospitalier, pas palmeraie qui vive, pour qu'on y put vivre des générations se succédant, rebondis et gavés.

Le chemin se poursuivit, les âmes charitables se révélèrent à mesure que ma silhouette s'était affinée. je n'étais plus abandonné, rejeté, j'étais l'original qu'on veut admirer, qu'on envie, dont on rêve d'être lui, sans attaches, sans chaînes, sans souffrance, décalcifié du contingent.  Je compris alors que la peur est mauvaise conseillère. Qu'il faut faire malgré elle. Ne pas s'empêcher. Si un beau jour, par une pluie battante, votre parapluie est pulvérisé dans la bourrasque, sachez que vous trouverez toujours un endroit sec où vous abriter. Pas de quoi s'anesthésier.

Je possède à présent le corps qui plaît à mon coeur de sportif (message reçu très tôt du médecin de famille). Ma silhouette s'est affinée, mes muscles se sont dessinés, je respire mieux et transpirer devient mon labeur quotidien. Une fin en soi.

J'entretiens désormais avec les arbres un dialogue constant. Les toucher, les contempler me donne à comprendre le chemin que je poursuis. Sensation de redescendre depuis l'extrémité d'une branche pour regagner les racines de l'arbre majestueux. La source immanente. Toujours située en deça, invisible pour l'oeil, à l'abri des mauvais coups du destin. Certains évoquent le grand dessein et montrent le ciel du doigt. Tout est pourtant là, sous nos pieds. Les arbres nous enseignent cette vérité.  Il suffit d'observer, de vraiment regarder, d'ouvrir les yeux pour comprendre et ne plus avoir peur.  

Je ne sens plus mon poids et j'avance sereinement dans un corps aussi alerte que les pensées qui l'habitent.

La route des Oliviers, l'odeur y est si particulière, m'alerte sur le changement de climat et la proximité du détroit de Gibraltar. J'ai appris à y presser l'olive. J'ai travaillé dans les champs. Mon physique est robuste, mon corps est fiable.

Envoyez la musique.

Au départ, j'oubliais le chemin entre 2 étapes. Puis le chemin est devenu l'étape, une étape qui durait, les souvenirs s'ancrant dans chaque pas, chaque odeur, chaque tableau, chaque sensation de vent sur le visage. 

J'ai traversé mes vies, mille vies que je raconterai un jour, jusqu'à arriver à Douala par la route.

Curieusement, je n'étais plus le vagabond céleste, j'étais devenu le "blanc". Je compris que les 100 Fcfa ne me serviraient à rien, je les ai toujours, symboliquement. Je compris que ma couleur de peau était soudain, une chance, une garantie, un passeport pour retrouver une place, une position sur l'échiquier social de cette capitale économique. Je trouvai à m'inviter dans des réunions consulaires, des conciliabules à l'ambassade. Je trouvai moyen de me loger sans donner de garanties, d'emprunter sur la foi de ma promesse, de m'acheter une réputation à force de fréquenter ces petits milieux favorisés, de m'inventer une vie enviable, suffisamment mystérieuse pour qu'elle donne envie aux nantis, Camerounais "de la haute", expatriés, de tromper l'ennui et de fuir leur train-train en écoutant ce que mes aventures vraies ou fantasmées avaient à leur yeux de merveilleux.

Je présentais bien. J'avais les regards attendris des femmes d'expatrié qui aimaient en moi ce côté "sans attache" pas prévisible. Les hommes appréciaient ma gouaille, mon humour cassant -je dis ce que je pense, je l'ai toujours fait -, mon côté rebelle.

Les français de l'étranger firent de moi leur mascotte. Leur fierté. Je devins sans effort conseiller consulaire. Je touchai mon pécule pour la première fois. Aidant, ironie du sort, des compatriotes français livrés à eux-mêmes, à retrouver de la dignité, une écoute, un cadre de vie (beaucoup de ces hommes avaient suivi des femmes rencontrée sur le net avant d'être plumés comme des poulets de batterie et drogués, laissés pour morts).

On me prêta une maison coloniale à l'abandon que je retapai. Je devenais habile de mes mains. J'avais alors pignon sur rue. tout pour être apaisé. J'avais même rencontré la femme de mes rêves, la vétérinaire qui avait pris soin de soigner puis d'accompagner Goliath (mon fidèle compagnon des derniers 3000 kilomètres avant Douala) vers sa dernière demeure, derrière la maison. Elle me donna deux merveilleux enfants, nous vivions heureux en ce coin de paradis aux alentours du rond point Hôtel de l'air.  

Mais il manquait toujours quelque chose à ma vie. Et je ne savais pas encore quoi.

Puis un soir de déambulations qui me rappelaient probablement mes vies d'avant, d'échappées douces, d'égarements inspirés, j'ai rencontré Titus, vieux passionné, ex combattant de MMA, entraîneur d'un petit club de boxe de Bonapriso pas loin de la maison. Je me promène et m'arrête devant, hypnotisé par le son étouffé des gants dans un sac. Titus est là. On sympathise. J'ai commencé peu de temps après. Je l'entends me dire, me répéter "tu as le punch, le rythme, le style, le jeu de jambe". Je lui explique les milliers de kilomètres parcourus, les coups de poings rageurs plus jeune dans les murs sous les ponts, sur mes joues rougies. La quête ininterrompue pour arracher une réponse à des questions dont j'ignorais encore tout. 

Je me suis donc lancé dans la Boxe Anglaise sur le tard. Grâce à Titus qui m'a découvert ce talent. J'ai appris à retenir les coups et ne pas me laisser retenir dans les cordes. Et j'ai le punch. Cadeau du ciel. Ma foudre à moi. C'est ma force.

Le monde du sport a récemment réhabilité ses anciennes gloires. Le niveau serait devenu trop faiblard. Et tout est devenu bon pour faire du fric.

Etant patiemment devenu crédible à 45 ans sonnés pour disputer ce genre de combat de vétéran, j'apparais soudain comme un OVNI. Je suis blanc, vieux, je vais combattre sous les couleurs du Cameroun. De quoi attirer les marqueteurs du monde entier. Téléphonie mobile, brasseries, tout y passe tout y veut passer. Mon image épongée jusqu'au négatif. Rentabilisée. Epuisée.

Je suis prêt. Je me sens fort. Indestructible. A Bonamoussadi, on m'a vite appelé le Bombardier.

Le Bombardier de Bonamoussadi. 

Je me souviens de tout. A l'heure des hymnes.

La raison pour laquelle j'ai fait tout ça.

C'est que je m'en cogne. J'ai percé à jour le fond de ma mélancolie, la raison profonde de cette marche du bout du monde. Je suis guéri. Tout ce temps, il me fallait retrouver comme le lièvre trop pressé parce qu'orphelin de sa petite maison sur le dos, ma maison rêvée ou plutôt celui qui l'incarne le mieux sans jamais avoir pris le temps de m'en confier les clés avant de prendre congé.

L'espoir qu'il est vivant, qu'il verra ce combat, qu'on fera bientôt connaissance.

Et je sais que ce coup de projecteur sur ma petite personne aura l'effet espéré. Malgré les écueils et la prison médiatique bien réelle qui inévitablement prendra forme.

Je suis ce que tout est. De l'un avec le tout.

La pièce de 100 Fcfa est là Bien au chaud, tout au fonds du gant recouvrant ma main gauche.

Je n'ai jamais connu mon père.

N'est-ce pas le combat de toute une vie ?

vendredi 29 octobre 2021

Le blues de la caisse automatique

Ce conte est d'abord une histoire vraie, et pour cause, je l'ai vécu.

Depuis peu, je remplace le déodorant par une moitié de citron vert. Plus naturel et Ô combien efficace. 

Le blues de la caissière, c'est ce que je ressens très fort ce matin là en m'arrêtant dans la grande surface jouxtant mon lieu de travail. Il est 09h00. Je m'arrête pour acheter un petit citron vert. 

J'entre et me rends au rayon fruits. Je découvre au passage ces rutilantes caisses automatiques qui paraît-il permettent d'aller plus vite sans adresser un traître mot à quiconque.

Le magasin vient d'ouvrir, le responsable doit être affairé dans l'angle mort d'une caméra fouillant le dédale de rayons comme une affamée.

Tout se fera silencieusement sans se parler. C'est le progrès en marche à n'en point douter.

Ca y est le citron est choisi, il est au chaud dans la paume de ma main gauche.

Le monsieur qui installe le magasin est une dame. Je la connais. Habituelllement caissière, elle semble avoir pris du grade. Elle approche et m'explique le protocole à suivre, s'aidant d'un bout de papier noirci de pattes de mouches. Elle a l'écriture agitée. Epileptique.

"Allez choisir votre citron"

"C'est fait, Madame"

"Bon et bien pesez-le sur la balance de la caisse automatique.. Ici vous voyez ?"

Ensuite, je n'aurai qu'à suivre les étapes parfaitement indiquées sur une pancarte du meilleur effet. Fléchée pour ainsi dire.

Le temps des amabilités, il est 09h02.

Je pose le citron sur la petite balance de la caisse mais l'écran s'est assoupi. Il n'affiche que le reflet sombre et marécageux de ma main lui tendant fébrilement ma carte.

La dame est de nouveau affairée dans la remise. Le magasin vient d'ouvrir.

La voilà qui revient.

Elle essaye à son tour mais en vain, jure

(c'est pas beau de jurer)

Elle me conseille la caisse automatique d'à côté

(il y a déjà 4 caisses monolithiques à la queue-leu-leu).

Je soupèse le fruit. Serait-il défendu ?

Il est 09h04.

Le ticket sort, tout se passe bien jusqu'au règlement. Je glisse la carte. Néant. Aucune réaction. le lecteur à CB semble lui aussi mal embouché ce matin.

La dame revient, d'un pas toujours plus alerte, me demande de la suivre vers les anciennes caisses, on parle de celles qui demandent une intervention humaine, qui ont eu le temps d'être domestiquées .

Il est 09h06.

Problème : elle n'a pas les clés. Normal, on n'utilise plus ces caisses-là. Retour vers la remise.

09h07

Et moi et mon citron vert dans la main. Une mouche vole. Elle revient, brandissant le précieux sésame.  Je lui souris. Elle soupire.

A ma montre, il est 09h09.

Soulagement. Elle ouvre la caisse, s'empare de ma pièce d'un euro, me rend la monnaie en pièces jaune. Je repars avec mon citron.

Voilà. Je viens de décrire un achat qui depuis la nuit des temps durait 3 secondes sur un marché, chez l'épicier, avec un échange, un sourire, une poignée de main, des nouvelles et j'en passe...  

En repartant il est 09h10.

Et je me dis alors en souriant à l'asphalte qui défile sous mes pieds : le voilà, tiens, le progrès.

Il y a de quoi se pincer !

mardi 26 octobre 2021

Son nom est peut-être...

Vous avez peut-être entendu parler du "maquis".

Le maquis, c'est une page sombre de l'Histoire Camerounaise. Quelques années avant l'indépendance - qui n'en fut évidemment pas une. Ahidjo placé à dessein au pouvoir pour faire oublier d'autres noms, ceux des vrais héros vite oubliés de l'Indépendance. Dans une forêt d'inextricables symboles, de contradictoires destinées, où le napalm arrache jusqu'à la vie du nouveau né dans un silence d'église, l'indifférence onusienne fait loi, la version officielle fait son office, protège les intérêts français, la "real-politique" est déjà le seul langage qui vaille... La loi du plus fort, instrumentalisons l'autre, retournons-le contre ses frères, faisons naître la paranoïa dans le taxi qui t'amène en ville, sur le marché de ton village, lorsque tu croises les amis aux champs... Glissons subrepticement des rats dans vos têtes. Fissurons la confiance, piétinons les modèles, tuons le courage, détruisons l'espoir.

Ruben Um Nyobe et ses frères d'héroïsme assassinés ? Qui croire dès lors ? Comment oser ? A qui se confier ? Comment résister lorsque l'Histoire est aussi oublieuse, indifférente ?

L'un dénonce l'autre pour se venger, qu'il soit de mèche avec l'occupant ou en cheville avec le résistant. On profite du chaos pour régler des comptes, le vice y tue la vertu. Tout doucement. Sans faire de bruit.  Sauve qui peut. Lorsque son propre voisin, sa soeur de lait, n'est plus digne de confiance, chacun est alors ramené à l'état de survivance, une possible folie ordinaire où le seul refuge devient une impénétrable forêt. Mère des instants difficiles qui protège, berce et nourrit. L'on s'éparpille, l'on se veut être le héros pour sa famille, on promet de protéger ses parents, les sauver du danger quand la menace gronde, même si l'on mesure 3 pommes et que l'on pèse 1 plume. Période où l'orgueilleux se livre aux forces du mal, où les mythes naissent de la bouche à l'oreille sur les rebords escarpés d'une falaise en emportant avec soi qui le colon, qui le bourreau.

Voilà ce que fut le maquis. Se battre contre le blanc, contre l'oppresseur, contre ceux des tiens qui y voient une opportunité de grandir à l'ombre de l'occupant. Alors on n'a plus personne auprès de qui se rassurer, on ne fait plus confiance à quiconque, on s'improvise.

C'est dans ce climat que Peutêtre est né. Peutêtre est le premier enfant de Ladouce. Ladouce a essayé en vain mais en vain l'enfant n'est jamais venu jusqu'à Peutêtre. Peutêtre était baptisé ainsi pour espérer qu'un jour peut-être il serait là. En chair et en os. Qu'il vivrait assez longtemps pour prendre soin de sa mère pour l'accompagner un jour vers sa dernière demeure.

Peutêtre est le fruit d'un amour total, et finalement trop grand peut-être. Le ventre de Ladouce a n'a fait que grossir au fur et à mesure que son fils prenait sa place.  

Sortir du ventre a été une interminable et pénible négociation. Un dialogue passionnant. Cart tant que Peutêtre était dans le ventre, Ladouce lui parlait comme à une personne qu'on accueille au monde. Maintenant qu'il est à l'air libre, Ladouce a changé de comportement, le sur-couve, préférant ne pas couper le cordon. Alors, partout où il va, ce cordon l'enserre, et lorsqu'il fleurte avec les frontières du village, il sent comme le lien se resserre, retenu par ce long cordon qui ne le lâche jamais. C'est plus fort qu'elle. Il est sorti de son ventre mais pourquoi le laisser partir ? Il lui appartient. Il est une partie d'elle.

Et puis la période est dangereuse le péril au coin de chaque rue. Elle a trop peur qu'il ne lui arrive quelque chose. Un malheur est si vite arrivé.

Le cordon est devenu vivant, un serpent, un boa constricteur qui l'étouffe d'amour protecteur. Une malédiction.

Peutêtre sait qu'il doit trouver la parade. Il sait se montrer patient. La longue gestation dans e ventre de sa mère le lui a enseigné. Pas de précipitation. Attendre le bon moment.

Un jour qu'il s'aventure au Bord du lac, où personne n'ose s'aventurer d'ordinaire, car l'esprit des eaux y effraye le petit monde Bamileke qui vit sur ses collines et redoute plus que tout au monde lacs, rivières et leurs mystères, leurs dangers.

Peutêtre a repéré en rentrant de l'école ce poisson rouge prisonnier d'un sac de plastique sous le cagnard sur le bord de la route qui mène à Bafoussam. Il s'empare du sac et de son occupant et file jusqu'au lac.

La dame du lac lui apparait et le remercie d'avoir rendu sa liberté au poisson rouge.

Elle lui propose de réaliser un voeu. Un seul.

"Je veux voler de mes propres ailes

Elle le remplace au bout de ce cordon. Par un mannequin tissé de raphia pesant le même poids qui lui ressemblera comme deux gouttes d'eau et qui dira oui, amen à tout ce que lui dira sa maman.

La Dame du lac s'exécute, la mère possessive n'y voit que du feu, heureuse d'avoir cet enfant soumis et en permanence auprès d'elle, sans volonté, disant "amen" à tout.

Pendant ce temps, Peutêtre est déjà très loin, il a franchi les collines verdoyantes, les lacs, les montagnes, les cascades, il vient d'arriver à Douala la rebelle. Il est à l'entrée du pont de la Dibamba. Il trépigne, il exulte.

Il vient de vivre son maquis intime. Contre l'ordre établi. A sens "inique".

Il va entrer dans l'Histoire, dans son histoire. La vie lui appartient.

Peutêtre est devenu un homme. 

dimanche 24 octobre 2021

Le Firmament ! Ou la revanche des espèces invasives

Les humains avaient pris leurs marques. Leur monde s'était calqué sur le modèle capitaliste cherchant sa vérité partout et nulle part pour gagner du terrain sans savoir où ce dernier finissait. Gagner du terrain sur qui ? sur quoi ? Mystère... Surpopulation, Surexploitation des ressources, se contredisant, se contrefaisant, métastasant le réel, l'adversaire, le rival, l'idéal pour régner sans partage. Avalant tout. Goulument. Sans réfléchir. 

La politique s'était calée sur le marketing. Le marketing s'était calé sur la division du travail. Chacun s'était soudain mis à réclamer une meilleure représentation de sa propre petite communauté de vie... Eut-t-elle été toute riquiqui. Le retour à la moindre minorité qui faisait sens, qui créait une valeur nouvelle, se disait "marché", se faisait docilement marchandise.

On usait d'allégories, de métaphores pour décrire le vivant face à l'inextricable mystère de la nature.

Et voilà qu'on mettait soudain, côte à côte, pied à pied, le daltonien ambidextre, le manchot homosexuel, le transformiste à pieds plats etc. A l'adolescence, les moches décidèrent de se pourvoir en justice pour faire valoir leur droit à ce que les jolies filles et les beaux garçons leur accordent un tant soit peu d'intérêt. Ils se sentaient lésés et gagnèrent nombre de procès, eurent gain de cause et obtinrent réparation devant l'humiliation vécue tant de fois face aux "beaux" qui dictaient honteusement leurs lois pour le marché.

Tout le monde valait tout le monde, chacun méritait ce que l'autre avait déjà, et donc l'impossible arriva. Fatalement. Et les choses prirent une tournure pour le moins inattendue.

Ce que chacun ignorait, c'est qu'Il existait un royaume qui se situait dans les nuées. Ce royaume était au très haut dans le ciel au point que même depuis le sommet de la plus haute des montagnes terrestres, on ne pouvait l’apercevoir. Cet endroit se nommait le Firmament, c’était le refuge de toutes les créatures merveilleuses qui avaient autrefois été sauvagement chassées par les hommes. Dans ce royaume bien au-dessus des nuages, il faisait toujours beau, il ne pleuvait jamais.

Contrairement à la Terre, la paix régnait partout au Firmament grâce à des règles instaurées par les Guides. Les Guides étaient les premiers arrivants sur Firmament. C'était d'anciens Dieux issus des religions polythéistes oubliées. Ils vivaient dans un gigantesque palais au beau milieu du royaume, ce palais était fait d’or et de marbre. Il y avait des créatures en tout genre à Firmament (elfes, fées, sorcières, sirènes, dragons, lutins, morts-vivants, etc...). Là-bas tout le monde (même les animaux) étaient égaux il n’y avait aucune discrimination toutes les monde était Vegan, ce qui évitait beaucoup de souci pour les animaux. Mais malgré toutes les libertés qu’offrait ce royaume il y avait trois lois qu’il fallait impérativement respecter sous peine de mort en cas de désobéissance :

1 Aucun humain ne devra découvrir l’existence du royaume 2 Aucun humain ne devra découvrir l’existence du peuple de Firmament. Peu importe son origine . sirènes, dragon, etc... 3 Aucun humain ne pourra survivre sur Firmament.

Soudain les vampires albinos, les lycanthropes à yeux vairons, les mutants autistes sur Firmament trouvèrent dans ce qui se tramait sur Terre quelque chose de familier, un je ne sais quoi qui leur parlait... Ce qu'ils y trouvaient de stimulant l'emporta sur les règles immuables de Firmament. Il suffit parfois d'un inconscient pour écrouler le plus stable et le plus confortable des édifices. Les plus téméraires (les plus fous de colère ?) décidèrent de faire leur coming out poussés par une soif de vengeance inaltérable contre le genre Humain : ils s'étaient sentis ostracisés, rejetés, maltraités, humiliés depuis trop longtemps par les Hommes, tout ce que l'art humain avait moqué de leur existence, tissant une mythologie monstrueuse, une fois ces créatures disparues de la surface de la Terre.

En descendant sur Terre, ils réalisèrent que les règles du Firmament n'étaient que la traduction de valeurs, de codes d'honneur, d'une sagesse millénaire pressentant la catastrophe qui s'annonçait si les uns et les autres faisaient enfin connaissance pour le meilleur mais surtout pour le pire... Découvrant que les Guides étaient dans cette incapacité de mettre à exécution les menaces que faisaient peser les 3 règles fondamentales de Firmament sur leurs habitants, ces derniers décidèrent comme un seul Homme de retourner sur Terre pour en découdre. Les Guides ne purent que constater à leur immense détresse cette fuite incessante de la terre des cieux vers celle de Hommes.

Brutale révélation à la face du monde. Tous ces personnages prétendument imaginaires existaient bel et bien mais n'avaient jusque là pas ressenti la nécessité de se faire remarquer. D'affirmer ouvertement leur appartenance hors la majorité, leur identité contre les autres. Redevenus mortels, ils revendiquaient soudain (comme chaque petite communauté humaine sur Terre) leur droit à exister même différemment... C'était le pot aux roses. Leur révolution, découvrant qu'ils étaient tout aussi légitimes que le commun des mortels.

Tous ces nouveaux vivants déréglés comme profitant du dégel, du réchauffement climatique pour revenir aux affaires, furent bien aise de profiter de ce que le cinéma et la littérature s'étaient évertués à faire d'eux d'innommables monstres sanguinaires pour assouvir leurs plus bas instincts... Ils eurent la riche idée de réclamer dommages et intérêts et obtinrent gain de cause, se pliant dans un premier temps aux règles en vigueur sur la Terre et purent faire interdire Frankenstein, faire condamner à titre posthume Mary Shelley et autres auteurs racistes et malveillants qui les avaient traîné dans une boue infâme ...

Naturellement, ils s'aperçurent très vite de leur supériorité (physique particulièrement) sur le reste du vivant et en firent usage. Vampires, Dragons, Sorcières, Morts-Vivants, Lycanthropes et Mutants s'allièrent pour asservir l'humanité considérée comme néfaste et qui n'eut dès lors plus que ses yeux pour pleurer. La loi du plus fort finit toujours par être la meilleure. Firmament fut désertée mais hélas personne n'avait prédit que la Terre déjà mise à mal finirait par imploser, mourir (et tous ses habitants avec, réels ou imaginaires) sous l'effet d'un surpopulation mortifère...

En matière de Capitalisme, tout est mal qui finit mal... A trop chercher de nouveaux marchés, de  fantastiques débouchés innovants, d'énièmes  micro-niches susceptible de "cracher" de l'argent frais, on finit par créer les conditions de sa propre perte. A bon entendeur...


samedi 7 août 2021

Chef caca

C'est un soir orageux. Les éclairs lui semblent se rapprocher. Papa compte les secondes qui les séparent du grondement, le tonnerre. Le temps se raccourcit. Par la fenêtre, il voit Garfield, le chat de la jeune voisine du rez-de-chaussée se ruer sous un utilitaire pour y trouver refuge. La pluie gagne en intensité. Plus un oiseau. Plus un quidam. La ville ruisselle de toute part, les égouts débordent, une peur étrange s'est emparée des silhouettes fantomatiques derrière leurs fenêtres de l'autre côté du square. On semble partout attendre quelque chose.

Perdu dans ses pensées, Papa n'a rien remarqué. Léonie est partie aux toilettes depuis un temps indéterminé. Mais il revient brutalement à la réalité de leur petit 45 mètres carrés trop immobile.

"Ma chérie ?"

Il appelle la petiote.

"Léonie ?"

Pas de réponse. Papa remonte le couloir comme le fleuve ou le temps lui semble-t-il jusqu'à la source.

Léonie est bien là, debout, figée dans un curieux silence, dos à la porte de la salle de bains. 

Livide, elle a gardé ses petites mains dans le dos.

Veut-elle empêcher papa d'entrer ?  

Non, papa voit la peur das son regard. Oui mais de quoi ?

Elle est sporadiquement éclairée par les éclairs qui viennent du lointain dehors. 

Papa s'est planté, inquiet, tout près. Un avertissement résonne dans sa tête, un mot tout au plus : "fragile"... Il se veut précautionneux, il se concentre et commence à comprendre confusément. Tout passe parfois par l'odorat. Il se détend. Il aperçoit les premières traînées dépassant de la silhouette de Léonie toujours immobile, tremblante.

Derrière eux, au bout du salon, la pluie gifle les vitres de plus belle.

Il reconstitue mentalement la scène. Tout est limpide à présent.

Devant le spectacle impressionnant à l'extérieur, Léonie a eu comme la chair de poule, un noeud terrible s'et formé à l'estomac, ses petties mains sont devenurs moites, ses pettis petons "poites" - ce mot mériterait d'exister. S'en est suivie une envie pressante, impérieuse, irrésistible d'aller aux toilettes. Son petit appartement lui rappelant à cet instant la maison de paille d'un des 3 petits cochons malmenée par des vents furieux. Papa sait aussi qu'en ce moment, c'est particulièrement délicat parce qu'avec maman il y a parfois des disputes et maman est justement partie passer un week-end avec des amies.

Tout ceci aura joué un rôle et son effet boule de neige. Léonie n'aura pas eu le temps d'arriver sans dommages sur la cuvette.

Elle est encore petite. Elle ne maîtrise pas tout. La peur a entraîné des catastrophes en chaîne.

Une projection mentale. Ne pas arriver à temps. Imaginer la colère de Papa. Essayer de rattraper son erreur en nettoyant. Mais le premier rouleau de papier toilettes finit dans la cuvette. Le deuxième au lieu d'effacer les traces étale, agrandit la zone d'impact initiale.

La petite Léonie panique, essaye d'enlever son pyjama en prenant appui sur le mur qu'elle décore sans s'en apercevoir. les vêtements souillés participent du grand coup de pinceau à l'oeuvre.     

Au lieu de réparer, elle aggrave. Puis se recroqueville. Reste silencieuse, sans ressort. Elle imagine la colère de Papa.

Papa se rappelle avoir entendu dans un film de sa jeunesse que "la peur engendre l'hésitation et que l'hésitation engendre la réalisation de toutes les peurs".

Il en sourit, puis ne peut s'empêcher d'éclater de rire. C'est communicatif. Léonie rit à son tour et à gorge déployée. Ils vont faire le ménage tranquillement et cela restera un souvenir rigolo.

"Pas besoin d'effacer tes traces ma chérie. Ca n'est pas un crime. Ce sont des choses qui arrivent".

La seule trace qu'il en reste c'est que désormais Papa appelle affectueusement Léonie "Chef Caca". 

Pour les siècles des siècles.

vendredi 6 août 2021

Le copain qui n'avait pas de chance

Cette histoire se déroule au Collège Jean Mermoz à Abidjan. Josian est un petit garçon frêle de parents suisses et atteint de poliomyélite, maladie qui a affecté l'une de ses jambes plus courte que l'autre. Sa démarche s'en ressent, elle est heurtée. Il se remarque, ne peut pas se prêter aux mêmes jeux que ses petits camarades dans la cour de récréation. Il est parfois l'objet de moqueries. Mais c'est un garçon positif, gai, souriant. En toutes circonstances.

C'est ce qu'apprécie son meilleur ami, Rémi, jeune français qui l'a immédiatement adopté, pris sous son aile, en arrivant du Cameroun dans cette classe de CM1. Rémi aime la compagnie de Josian et sa constante bonne humeur. Il est attentif à ce compagnon de classe rigolo et adorable mais remarque au fil des semaines comme Josian cumule les déveines. Un jour c'est un bleu ici qu'il s'était fait en tombant, cette autre fois c'était le bras dans le plâtre. Une cicatrice au front. Un mauvais rhume... C'est vrai qu'il a une assise plutôt instable mais tout de même... Josian répète en souriant qu'il n'a jamais de chance. Que c'est ainsi. Il parle comme le vieux Sage.  Et le dit toujours avec un grand sourire. Même dissimulé derrière un bandage, on le devine.

Juste avant les vacances de Noël, Rémi est choisi lors d'un tirage au sort par la maîtresse pour savoir qui aura la chance de se rendre à une fête foraine qui se tient non loin de là à Cocody, tout près de l'Hôtel de Ivoire. 

Naturellement le chanceux Rémi qui peut inviter une personne, convie son copain Josian.

Les parents de ce dernier, touchés, apprécient le geste de son camarade et invitent Rémi à passer le week-end chez eux.

Tout se passe à merveille jusqu'à se que se produise l'incident dont voici la teneur. Durant un bref instant, alors que les 2 amis jouent avec leurs figurines des Maîtres de l'univers dans la chambre de Josian , son papa entre dans la chambre et vient poser ses grosses mains sur leurs épaules. Rémi sent que son copain blêmit, se tétanise. Il voit tout cela dans son regard.

Instantanément, Rémi pense comprendre les bleus, les bras cassés. Josian est sûrement un enfant maltraité mais il cache cela derrière une joyeuse humeur constante et des mensonges parfaitement troussés, inventant toutes sortes d'histoires pour expliquer sa déveine et tout ce qui lui arrive de terrible.

Rémi ayant l'âme chevaleresque. Il veut bien faire en essayant d'évoquer le sujet avec son ami dès que la porte de la chambre s'est refermée. La réaction de Josian, inattendue, le décontenance. Josian réagit comme une bête blessée, il hurle, se plaint à ses parents, disant qu'il ne veut plus jamais revoir Rémi.

Quelque chose se casse alors entre eux. Et plus rien ne sera jamasi pareil.

Rémi, une fois rentré chez lui, s'effondre et trouve le réconfort dans la discussion qu'il a avec maman

Elle lui fait alors comprendre le sens du proverbe 'l'enfer est pavé de bonnes intentions". Rémi pensait bien faire mais ne fit que renvoyer à Josian son "infirmité", sa différence, sa malchance, quand tout ce qui avait fait la force de leur amitié venait précisément de ce que Rémi traitait son ami comme n'importe quel meilleur ami.

Son erreur avait été de penser aussi que sa supposée chance (le tirage au sort) pourrait rééquilibrer les choses et compenser la supposée malchance de Josian. Il  revoyait son ami agitant gaiement son plâtre noirci de dessins et de mots gentils de ses copains de classe. Rémi avait cru qu'à son contact, Josian deviendrait chanceux à son tour. Qu'il le contaminerait.

Erreur ! Comme lui expliqua maman, on ne peut pas donner un peu de sa chance comme on rompt un morceau de pain pour le partager. Pas plus qu'on ne peut s'immiscer dans la vie et les souffrances intimes de l'autre sans en payer parfois le prix d'une forme d'intrusion.

A bon entendeur, 

vendredi 14 mai 2021

La goutte d'eau qui fit déborder la mouche (d'émotion)


Une grosse mouche noire aimait plus que tout au monde l'odeur de la mer, de ses embruns sans vraiment savoir pourquoi.

Une irrésistible attirance mêlée d'une peur irraisonnée. De s'y noyer peut être.

Quelle idée pensèrent les autres mouches probablement trop terriennes de vouloir s'oublier sur les rivages, de passer un temps infini sur des plages de sable fin battues par des vents iodés ? Une mouche n'était à sa place qu'au coeur de l'arrière pays, à tournoyer dans l'air chaud, immobile et sec d'une saison de récolte entre bottes de foin et pâturages odorants.

La grosse mouche noire éprise d'océan n'en avait cure.

Elle avait pris ses cliques et ses claques et reposé ses ailes dans ce petit coin de paradis de sable noir qui lui parlait, sur une plage de la ville de Limbé, quelque part sur une ligne courant de l'île de Malabo jusqu'au Mont Cameroun, le bien nommé Char des Dieux.

Elle y passait ses journées, la pupille dilatée, l'aile au repos, à lancer des regards gourmands vers le large en plein accord avec elle-même, nonchalamment posée sur cette langue sombre entre océan et une rivière d'eau douce, fraîche et revigorante qui traversait le Seme Beach Club.

Elle cherchait encore le moment propice pour faire son premier bain de mer. Se jeter à l'eau comme on dit. Sans savoir évidemment quel en serait le prix mais tout en pressentant qu'elle ne serait plus la même après. 

Elle attendait un signe, le déclic. Comme ce surfer à quelques dizaines de mètres du rivage qui guettait calmement la vague qui le ramènerait sur la terre ferme.

Mais cet état contemplatif, béat, l'avait empêché de noter que chaque jour au point de marée haute la vague la plus aventureuse de tout le littoral venait mourir au même endroit. A ses pattes pour ainsi dire. Comme une supplication. 

Une petite gouttelette, véritable proue du vaste océan parut soulagée d'avoir enfin toute son attention et s'en expliqua de sa petite voix mignonnette et étranglée :

"Bonjour Madame la Mouche, cela fait des jours que je vous fais signe. Mais vous étiez bien trop occupée à rêvasser. Je désespérais de ne jamais pouvoir exister un jour dans votre regard. J'ai besoin de vous.

Madame la Mouche fut flattée de l'intérêt que lui portait ce minuscule brin d'océan têtu et déterminé à revenir à chaque nouvelle marée haute venir toujours plus près d'elle afin de lui demander de l'aide. Elle opina, curieuse d'écouter ce que la minuscule goutte avait à lui dire.  

"Toutes mes soeurs les gouttes d'eau de mer m'encouragent depuis toujours à réaliser mon rêve.

"Quel est ce rêve, petite goutte d'eau de mer ? Je t'écoute, murmura la Mouche attendrie de déceler quelque chose de familier dans les désirs secrets qui animaient la petite gouttelette, sentiment renforcé par le reflet d'elle même que lui renvoyait cette dernière.

"Je rêve de rejoindre ce ruisseau que je devine, là-bas, derrière vous. j'ai toujours rêvé de changer de lit. J'ai toujours rêvé de lagune, c'est ma nature profonde. Tous les efforts conjugués de toutes mes soeurs ont été jusqu'à présent vains. Et j'ai senti en vous voyant alanguie, rêveuse, sur le rivage que nous avions un bout de chemin à faire ensemble. Une intuition.

"Une goutte d'eau de mer qui rêve de quitter l'océan, qui veut rejoindre la rivière d'eau pure et claire, se dit Madame la Mouche. Quelle merveilleuse idée !

"Vous rêvez donc d'eau douce Madame la Goutte ?

" je suis curieuse de nature et j'aspire à la douceur, c'est vrai, depuis toujours. 

Les deux improbables complices de circonstances s'étaient parfaitement trouvées. Madame la Mouche allait pouvoir faire l'expérience de l'eau de mer sans courir le moindre risque. Elle était en confiance. Elle prit délicatement sur ses ailes la petite gouttelette juste avant que la vague la plus forte du point de marée le plus haut ne redescende, ne recule pour de bon. Et chacune deviendrait ce qu'elle avait rêvé de devenir.

La gouttelette d'eau de mer salua ses soeurs les gouttes d'eau de mer qui la regardèrent quitter le lit familial non sans émotion. Elle put grâce à Madame la Mouche rejoindre le cours d'eau tranquille et frais, déposée qu'elle fut, délicatement, comme un pétale de rosée, depuis ses ailes rassurantes pour se diluer tout à fait dans sa passion, dans ce qui la faisait profondément vibrer depuis toujours.

Dès que la gouttelette disparut en remerciant, comblée, son alliée madame la Mouche, cette dernière se sentit à son tour métamorphosée, débordant d'une émotion nouvelle et folle. L'effet de l'eau salée en humectant sa face toute noire et tout lui revint. C'était le goût amer de la larme qu'avait versé sur elle une maman croyant alors avoir perdu son bébé à la naissance et qui l'avait abandonnée sans se retourner. Le sel maternel avait eu pour effet de faire repartir son petit coeur tout mou.

Tout lui revint et Madame la Mouche se sentit libérée d'un poids. Depuis, elle a ses habitudes et fait chaque matin son petit bain de mer pour entretenir ce souvenir et retrouver la sensation même infiniment petite de cet amour maternel qui lui donne la force de continuer.

 


jeudi 13 mai 2021

Le roi des fesses

Stephen Oliveri était un phénomène. Surtout pour cette incroyable malchance qui le suivait partout, comme son ombre.

Tout avait commencé en sortant du ventre de sa mère. La légende - ce qu'il nous en avait rapporté - voulait qu'elle ne s'était pas sentie désireuse, prête ou capable de l'élever comme son enfant. Stéphane avait donc grandi sous la bienveillante égide de la Direction des Affaire Sanitaires et Sociales, accueilli rapidement par une famille qui l'entoura de tout l'amour dont il avait besoin pour s'épanouir en grandissant.

Mais pendant longtemps, pour Stephen, la chance aura été ce fruit inaccessible sur l'arbre à la bonne saison. Il avait beau sauter, s'échiner, l'objet de ses convoitises se refusait obstinément à lui. 

A l'internat, on l'appelait SOS. Pour plein de raisons.

Bien sûr l'adolescence est un âge ingrat. Il était arrivé à Marcel Roby en cours d'année. On se fait facilement remarquer dans une situation pareille. L'effet grossissant d'une petite communauté observant à la loupe le nouveau venu. 

SOS n'avait d'ailleurs pas un physique facile : une peau grasse généreuse avec le point noir qui s'y délectait entre deux boutons d'acné. Ajoutez un nez en patate soutenant des lunettes épaisses à double foyer (il était ouvertement myope). Et puis il y avait ses cheveux ternes, sans volume, qui épousaient la forme aplatie de son crâne, sue laquelle on aurait pu faire tenir un verre à pied. Pour couronner le tout, ses lèvres épaisses et constamment humides laissait s'échappper une mauvaise haleine. On ne lui parlait jamais de trop près.

Un matin, il avait été à l'origine d'un immense fou rire :  Au réveil, ses paupières avaient refusé de retomber sur ses yeux qui exprimaient une angoisse, s'embuaient, les muscles de son visage étaient tétanisés. On sentait la souffrance mais lui hurlait intérieurement cherchant de l'aide, un soutien, quand personne autour ne pouvait retenir ses larmes de rire. Tout était revenu dans l'ordre après qu'il se soit longuement aspergé le visage à la salle d'eau collective. Mais il avait attiré l'attention sur lui et pas pour les meilleures raisons.  

Quand on suscite autant de railleries, le harcèlement n'est jamais très loin. Lors du traditionnel bizutage pour accueillir les nouveaux venus, il fut le plus chahuté, tout habillé sous la douche glacée, savonné, en pleine nuit sous les salves extatiques de "SOS pétomane SOS pétomane SOS pétomane !

Cest que le pire dans tout cela lui venait d'une tare congénitale dont il avait hérité au niveau digestif. Un rétrécissement probable du colon jusqu'au sphincter qui le faisait péter de façon particulièrement bruyante. C'est surtout la nuit qu'on l'entendait claironner distinctement des fesses.

Les autre internes avaient également compris qu'en lui faisant peur, en le faisant sursauter, il ne pouvait empêcher les gaz qui lui encombraient l'intestin de se libérer dans un boucan de tous les diables.

Longtemps il le vécut terriblement mal. Mais un beau jour, SOS comprit que cette tare était en réalité une chance. Une aubaine.

Tout démarra lors d'un soir en ville, quelques années plus tard. Un simple malentendu lui mit la puce à l'oreille. Son voisin de table dans un minuscule restaurant japonais de la rue Pradier où l'on s'entassait les uns sur les autres, s'était brutalement retourné vers lui - au moment précis où SOS venait de se soulager, pensait-il discrètement - et au terme d'un suspense insoutenable avait interrogé 

"Ah oui je me régale, c'est délicieux, et vous c'était comment ?"

SOS avait alors compris qu'il avait un don. Que ses fesses étaient un cadeau du ciel. Le sphincter était ce muscle qu'il maîtrisait mieux que personne. Il savait moduler les sons qu'il produisait lorsque les gaz prenaient congé de sa personne. Il pouvait en régler l'intensité, la tonalité. Et comme tout don, il devait le travailler. 

Il se mit à écouter la BO de Rocky et fit ce qu'il fallait pour que son complexe devienne un talent unique au monde. Il découvrit notamment qu'il chantait juste du postérieur, qu'il avait si l'on veut l'oreille absolue. Rapidement il put reprendre des refrains de morceaux célèbres, il en fit des quizz, fut repéré dans un petit théâtre de quartier du 19e. Il alla plus loin. Il pouvait parler avec son derrière. Il devint chanteur, puis ventriloque. Et même imitateur.

Il se produit aujourd'hui sur les scènes du monde entier. On l'appelle affectueusement "Le roi des fesses"

Aux dernières nouvelles, il aurait même réussi à se faire comprendre de certains animaux et établir le contact avec les perruches, les Terriers airedales et même les grenouilles Goliath.

Un postérieur magique !

mardi 11 mai 2021

Examen et défiance

Florent a toujours su camoufler. Il avance à reculons, à pas comptés, vers les marqueurs forts de son insigne faiblesse que sont les concours, les examens qui les matérialisent, certain qu'il s'y enlisera le premier, étranger à toute confiance, il sait alors mieux que personne se saboter, se regarder par au-dessus, s'enfoncer la tête dans la fange, jusqu'au sommet du crâne, sans l'aide de personne, lesté de ses odieuses croyances, les laissant s'épanouir tout au fonds de ses tréfonds intimes. Il sent bien venir le moment fatidique où chacun l'aura démasqué et d'un souffle tranquille l'aura éparpillé.

Heureusement, le cerveau sait en certaines extrémités, accoucher de vertueux subterfuges, de saines contorsions, pour sauver ce qui peut l'être. Il vous en fait faire alors des choses. Florent se met à noircir des feuilles et des feuilles de brouillon. Il les classe de manière minutieuse par matière. Pour chaque matière plusieurs couleurs (il a noté comme les feuilles de brouillons mises à disposition des étudiants au moment du concours étaient de diverses couleurs, un arc-en-ciel). Il utilise la pointe ultra-fine d'un criterium et charge toutes ces feuilles d'un savoir immense qu'il sait être sa béquille. Il travaille le geste, répété le mouvement, l'assouplit. Une solution par sujet, par thème, des sous-groupes thématiques, d'antisèches aux allures de rubriques d'une encyclopédie souterraine, un royaume invisible. Il répète l'exercice, encore et encore, encore et toujours, y muscle son jeu jusqu'à bâtir de ses propres mains, ériger un empire de contrefaçons, de pansements de l'âme, prêts à surgir pour faire mouche le jour J. Un chef d'oeuvre d'organisation millimétrée, Des codex Maya à portée de main, d'humain, intraduisibles pour le commun des mortels, pour quiconque ne vit pas à l'intérieur de soi. Ou plus exactement de lui.

Le jour de l'examen arrive et une forme de miracle se produit. Florent, les idées suffisamment claires, la tête assez dure pour accueillir les règles du jeu sans toutefois les dévoyer, sans jamais les trahir, fait le grand saut, lâche la rampe et comprend qu'il ne craint rien du regard des autres, de ses supposés censeurs. Mieux, qu'il est armé pour se défendre. Plus besoin de béquille. Parce qu'il a traversé son désert, qu'il s'est doté de moyens pharaoniques pour contourner un dogme injuste (se confronter aux autres quand on se pense inférieur), de le refuser, de s'ouvrir un nouveau chemin jusqu'à l'ultime seconde. Il décide de laisser les feuilles s'arranger avec l'obscurité de son cartable. Et de ce lent processus de maturation qui n'était là que pour le rassurer, de ce rêve bâti pour conjurer un sort scellé depuis l'origine pour le soustraire au regard des autres, est née la créativité la plus entière parce que nécessaire, l'innovation la plus pure parce que désespérée, la magie la plus puissante parce que de ce monde, autant de déclics profonds qui ont fait de lui l'artisan de ces révisions fabuleuses, l'inventeur obsessionnel de la méthode ultime pour rénover ce monde en contournant ses contraintes, les codes inhérents à la vie dite normale, le germe de sa vie future.

Voilà ce qu'il en retient : échafaudons des plans comme si notre vie en dépendait, creusons l'idée jusqu'à ce qu'il ne reste rien autour, fourbissons nos armes selon nos propres règles quitte à les abandonner en dernier ressort. Ces petites notes compulsives constituaient un écrit sain, sa religion, intime, le manuel de survie pour arpenter un chemin qui ne mène jamais qu'à soi-même.   

lundi 29 mars 2021

les vacances de Tixo sur terre (un mini-conte de Mademoiselle Nahia)

 


Tixo le martien est arrivé sur la Terre le 8 février 2020. Il est reparti le 8 mars 2020.
Il nous raconte son voyage :

« Quand je suis arrivé là-bas, tout était différent. Je ne savais plus où donner de la tête tellement c’était ingénieux, original et simple en même temps. Puis il s’est passé des jours et j’ai découvert les inconvénients de cette planète : c’était extrêmement pollué, il n’y avait pas beaucoup d’arbres, ils étaient tous dépendants de quelque chose (cigarettes, écrans, alcool, etc). Il avaient tué des animaux et des arbres pour faire du papier ou de la nourriture en trop grosse quantité et puis le trou que j’ai utilisé pour rentrer à la maison était en fait un trou dans leur couche d’ozone qui avait été provoqué par la pollution. Bref, un peu catastrophique cette planète !

Mais bon ils ont plein de jeux sympas, des attractions et surtout plein d’activités, alors ce voyage m’a plutôt plu et beaucoup appris.

lundi 22 mars 2021

Mon Oncle, l'Ogre (Un conte de Mademoiselle Nahia)

 

C'était un ogre énorme, il portait une dague à la ceinture (on se demande bien pourquoi, parce que ses dents étaient déjà de véritables guillotines).Il portait un manteau en peau d'hommes et de moutons. Sa peau était grisâtre, ses dents étaient jaunâtres, ses cheveux étaient sales et poisseux à tel point qu'il n'était plus blancs mais marrons. Il dégageait une odeur de sang, de chair et de boyaux. Ses pieds puaient le fromage (ce qui était étonnant car jusque là on aurait pu croire qu'il était vegan). Il avait une très longue barbe broussailleuse qui lui servait de lit. Et quand il s'apprêtait à parler il mettait ses poings sur ses côtes et son juron préféré était :"Par l'humain farci que j'ai mangé hier..."
Il était horrible, alors imaginez-vous être son neveu comme moi ? Par l'humain farci que j'ai mangé hier, vous mordriez la poussière!
HA HA HA HA HA !!!

Anne ONYME

samedi 6 mars 2021

Imagine les aventures d'un pirate sur une ile maudite (un conte de Mademoiselle Nahia)

 


Il était une fois un capitaine nommé Croc noir, il partait avec son navire le Tryton vers l’ïle du diable pour y dénicher un trésor. Mais le temps ne l’entendait pas de cette oreille. D’énormes vagues se formaient et des éclairs fendaient le ciel. Ils passèrent 8 jours et 7 nuits sur le Tryton avant d’enfin pouvoir accoster sur l’île.  Quand ils furent arrivés, tout était calme.  Alors Croc noir décida d’installer un campement. A la tombée de la nuit, tout le monde avait une tente avec ses affaires dedans et au milieu il y avait un feu pour faire griller du poisson et des pommes de terre et pour les plus gourmands des chamallows. Le lendemain ils partirent à la chasse au trésor et tombèrent sur une clairière dévastée par des trous et pleine de squelettes. Ils comprirent alors que c’était l’endroit où était caché le trésor. Il y avait une source d’eau pure à côté. Ils commencèrent à creuser et quand ils eurent soif ils partirent boire de l’eau à la source. Au bout du 21ème jour, ils comprirent enfin où était caché le trésor… Croc noir ordonna à ses hommes d’aller chercher 10 jarres de terre cuite pour qu’ils les remplissent avec de l’eau de la source :  car le trésor c’était la source.

Ils repartirent chez eux et comme par hasard le temps était beau. Ils comprirent qu’en voyant l’eau à sa juste valeur, la malédiction du diable avait été levée. Arrivés chez eux ils comparèrent l’eau des jarres et l’eau normale. A leur grande satisfaction, l’eau des jarres était beaucoup plus claire. Depuis ce jour, des gens ont emménagé sur l’île pour faire pousser des fruits plus sucrés que d’autres grâce à l’eau pure de la source.

vendredi 5 mars 2021

La soif de pouvoir (Un conte de Mademoiselle Nahia)

 

Il était une fois une jeune fille qui se décida à faire le tour du monde. Elle arriva finalement dans un désert de sable fin. Dans ce désert, elle découvrit un joyau rouge. Elle s’apprêtait à le mettre dans sa poche quand soudain un gigantesque serpent d’or sortit du sable. Il dit « Jeune dame, ne prends pas de rubis, si tu me le laisses, je t’offrirai ce qui te plaira ». La demoiselle réfléchit un instant avant d’acquiescer. Le serpent reprit : « Que veux-tu ? »
« Je voudrais de l’or et des trésors pour les montrer à ma famille »
« Pars en paix »       
Le serpent rentra la tête puis la queue dans le sable et… hop !
La jeune fille se retrouva chez elle avec de l’or et des trésors plein les poches.
Un mois plus tard, elle retourna dans le désert et cette fois-ci, elle demanda au serpent des pouvoirs aussi puissants que les siens.
« Es-tu sûr de vouloir cela ? »
« Oui je le suis »
Aussitôt, hop ! Il s’exécuta.
Et elle se transforma en serpent d’or.
Une enveloppe contenant un joyau bleu apparut à côté d’elle. 
« Si tu veux survivre, tu dois protéger ton saphir »
Puis il disparut et elle demeura seule avec sa soif de pouvoir.

lundi 1 février 2021

Rémi Lamer (Un conte de Mademoiselle Nahia)

 


 (Texte autour de la photo de « Rémi écoutant la mer », Edouard BOUBAT. 1995)

Il était une fois un petit orphelin qu’on appelait Rémi Lamer parce que dès qu’il engageait une conversation c’était sur le thème de la mer. Il disait à tout le monde qu’un jour il entendrait le bruit des vagues se fracassant sur la falaise et le cri des mouettes pourchassant de vaillants petits poissons. Mais malheureusement pour lui, la mer n’était pas si près que ça. Un jour, un marchand de pacotille déguisé en clown vint à l’orphelinat pour divertir les enfants. Rémi toujours dans la lune ne fit même pas attention à lui. Le marchand faisait rigoler tous les enfants à part Rémi.

Il demanda « Comment s’appelle le petit garçon les enfants ? » en désignant Rémi.

Les enfants répondirent en cœur : « C’est Rémi Lamer car il ne pense qu’à la mer M’sieur. Sûrement qu’il y pense en ce moment ! ». Tous les enfants explosèrent de rire.

Le marchand les laissa à leur rigolade et se dirigea vers Rémi. Rémi sursauta quand il vit le clown s’asseoir à côté de lui.

« Veux-tu écouter la mer se fracasser contre la falaise et les cris des mouettes pourchassant de vaillants petits poissons ? » demanda le clown.

Rémi hésita puis acquiesca. Le marchand sortit un coquillage semblable à celui qu’il portait au cou mais en beaucoup plus gros. Il lui colla à l’oreille et Rémi entendit de grosses vagues, des mouettes qui avaient beaucoup de voix et surtout des enfants qui rigolaient en pataugeant dans l’eau.  Rémi était émerveillé. Alors le clown enleva son collier, le noua autour du cou de Rémi et dit : « Ca te dirait que je t’adopte et qu’on parte ensemble découvrir les plus belles plages du monde ? ». Le clown qui était en fait venu pour adopter un enfant fut ravi que Rémi soit d’accord. Et selon une légende, de nombreuses plages ont été découvertes par deux hommes dont l'un portait un coquillage autour du cou. 

samedi 2 janvier 2021

Derrière la fable, trouver la fontaine

J'ai toujours pensé qu'il y avait autre chose à comprendre des fables de La Fontaine, et par voie de conséquence du travail d'Esope en amont que ce que leur première lecture pouvait nous laisser comprendre.

Rarement morales auront pourtant été aussi limpides.

Tiens, prenons La cigale et la fourmi.

Le message est clair. L'oisiveté est souvent mère de nombreux maux. La cigale est dépensière, vit dans l'instant présent pendant que la fourni, travailleuse, est organisée, voit loin et ne se retrouve pas dans le besoin. Le message est même teinté d'une "critique" acerbe de la fourmi qui serait égoïste, qui ne serait pas "prêteuse"... Pingre, radine, peu prompte à aider son prochain dans le besoin.

Oui mais voilà, pour moi la cigale, en filigrane, c'est aussi "yo soy", c'est le culte de la personnalité, c'est le chemin de celle ou de celui qui s'écoute, se mire, se respire, celle qui se pense à tort connectée au "tout" lorsqu'elle chante et pousse ses incantations vers le ciel.

Illusoire. les apparences sont trompeuses. Méfions-nous des premières impressions.

La Fourmi semble à première vue être celle qui vit dans la détermination, dans une absence à la vérité dernière, prisonnière d'une matérialité sclérosante pendant qu'on imagine la cigale comme aspirant à découvrir des mondes célestes, cachés.

Et bien non, c'est tout le contraire, je m'explique.

Ce que peut raconter la fable en filigrane c'est justement que la fourmi par son sens inné du sacrifice pour le collectif, par sa capacité à gommer l'égo, la recherche individuelle d'un bonheur terrestre, est précisément celle qui a "tout compris". Mais elle n'est pas "prêteuse", au sens de ce qu'elle ne livre pas facilement son secret, son intime connaissance des fins dernières... Car l'hiver qui est venu, c'est aussi le soir de la vie naturellement... La cigale s'aperçoit qu'elle s'est perdue en chemin et qu'elle a perdu de vue l'essentiel, le sens de ce qu'elle faisait ici bas. Elle voudrait que la Fourmi lui révèle ce secret mais la fourmi laisse entendre que pour comprendre il faut être une fourmi, il faut s'effacer au sein du groupe, être dans le rôle qui nous est dévolu, dans l'instant présent de touts les instants, alors on peut savoir, alors on sait. On n'est pas prêteur de ce qui doit se vivre pour être ressenti, compris. 

Si je me penche sur le lièvre et la tortue c'est la même chose : l'enseignement à première vue est limpide, il concerne le fait de ne pas remettre à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui, à combattre la procrastination, à éviter de faire les choses dans la précipitation, souvent mauvaise conseillère. Soit...

Mais Le Lièvre c'est tout aussi bien le capitalisme et sa recherche folle de résultats et d'une efficacité pour maintenant, tout de suite... Le chiffre le chiffre, le chiffre. C'est l'accélération des échanges (courrier puis téléphone puis fax puis mail...) sa dématérialisation dans notre société du tout numérique, du tout et tout de suite. Tendance s'opposant à la méthodique et lente progression de la Tortue qui reste ancrée, qui ne perd de vue ni son objectif ni ses repères (sa maison en permanence sur son dos).

Allons plus loin : Le lièvre c'est le symbole vivant de cette société de consommation et du spectacle prophétisée par Guy Debord. La lièvre cherche la lumière, les louanges, se concentre sur sa propre trajectoire sous les projecteurs et sur les écrans du monde qui l'a façonné... Son image avant tout. C'est ainsi qu'il finit par se perdre, s'oublier, se noyer.... La tortue elle n'est pas sensible à ce chant des sirènes, elle se contente de ce qu'elle a, une petite maison, de quoi vivre, elle apprécie chaque pas effectué, elle se réalise dans l'écoulement de chaque seconde, elle se réalise pleinement dans l'instant présent. Sans se projeter, sans se retourner, sans anticiper. A chaque pas suffit sa peine. Elle dit mieux que quiconque les vertus du Carpe Diem qui révèle à son disciple le vrai sens de la vie. Du moment présent. 

Quid du Corbeau et du Renard : L'égo toujours l'égo... Qui offre au manipulateur, à l'être intéressé les moyens de tromper l'autre, de s'élever socialement en flattant son ego. Mettez l'ego de côté et vous revivrez. L'égo c'est la propriété, c'est aussi paradoxalement ce bout de fromage sur lequel lorgnent les envieux. La fable ne dit pas autre chose : lâchez ce fromage (la notoriété, l'argent, l'entregent), descendez de cet arbre (situation sociale enviable), redescendez sur terre redevenez vous-même c'est à dire un être vivant sans vous laisser guider / dévorer par son ego et vous ne vivrez jamais de désillusions. Vous vivrez vraiment. 

On pourrait faire de même pour le Chène et le Roseau : Evidemment plus vous êtes arrivé "haut" socialement, plus la chute est rude. Les déconvenues sont plus violentes pour les grands de ce monde quand tout s'arrête brutalement. Mais j'ai toujours vu cette fable comme la métaphore de l'expert et de l'apprenti. Les certitudes face à la capacité permanente d'émerveillement et d'apprentissage. De remise en question aussi. La souplesse du roseau c'est de ne pas se prendre pour ce qu'il n'est pas. Personne n'est expert, personne ne devrait le devenir. Amateur oui (d'art), passionné oui, mais expert jamais ! C'est sur ces chemins là qu'on se calcifié, qu'on se sclérose, que la première tempête nous emporte.

La disparition mystèrieuse de Mascotto Biscoto

La mascotte de la Coupe du Monde 2038 au Maroc a disparu. Qui sont les responsables ? Qui a commis cet acte ignoble ? Où est-elle passée ? L...