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dimanche 9 août 2020

Liem Ndjara


Il était étrange Yves.
Il nourrissait son trou.
Chacun se moquait de lui. La fratrie et le voisinage.
Mais Yves n'en avait cure, il remplissait son trou. Une cavité qu'il avait creusée, jour après jour au fond d'un ravin. Un terrain dont il avait hérité, en pente, inexploitable d'après les experts, où dormaient des arbres paisibles, centenaires, abritant un petit sous-bois vert et mousseux.  C'est là tout au fond qu'il avait trouvé un énorme caillou dans son esprit le sommet d'une montagne du dessous, invisible. Patiemment année après année, il y avait creusé sans se presser un abri rocheux, frais, humide. Son accès vers l'en-delà. Et cela le comblait de joie.

Il était issu d'une famille aisée de l'aristocratie Camerounaise. Ses parents avait érigé une Chapelle sur leur concession, vaste et verdoyante. San fin pouvait-on déduire de ces champs et forêts s'étendant à perte de vue de tout côté dont chacun répétait comme le fou assommé par la chaleur de midi "Ca leur appartient" "Ca leur appartient" "C'est toujours aux Sick" "Leur propriété semblait ne jamais finir. Chacun était très croyant dans sa famille comme dans le village qui s'était construit pour ainsi dire autour de la chapelle et du patriarche (qu'on appelait "le père Sick"). Il avait été maire de son village puis ministre de la République puis de nouveau maire (à vie) lorsque l'âge avait repris ses droits.

Et puis un jour, la guigne fut venue, le père de famille perdit pied, fut retrouvé inerte "dans de beaux draps"  probablement en compagnie d'une jeune fille trop jeune.

Il fallut cacher la chose malgré la rumeur qui enflait déjà dans le village puis partout dans le pays. Le ver était dans le fruit. On précipita les funérailles pour éviter le scandale et chacun des enfants, également rongés d'ambition, eut tout juste le temps de se mettre en ordre de bataille pour capter le plus gros de l'héritage.

On laissa Yves à son trou, son rocher, ses lubies "d'enfant de la retraite". Sa mère était morte en couche et l'avait eu très tard (40 ans passés) pour faire plaisir au "chef de famille" qui, superstitieux, se voyait probablement garder une insolente jeunesse à travers cette énième paternité.
       
Pendant ce temps, la fratrie se déchira, s'annihila, s'affaiblit, on se ressouda brièvement face aux enfants illégitimes venus réclamer leur part puis la discorde reprit de plus belle. On s'étripa, on se répartit les plus belles parties du royaume. On construisit, on étendit, on coupa des arbres qui avait mis des siècles à pousser, on se compara les uns aux autres en essayant d'être plus beau, plus grand, plus raffiné... Les parcelles devinrent stériles, la terre abîmée par ce qu'on avait voulu y mettre pour accélérer leur rendement, booster les profits qu'on pouvait en espérer.

L'un des enfants illégitimes, une jeune femme exclue du partage, devint redoutable en affaires. Aussi belle et désirable qu'elle était sans pitié, faisant de cette blessure l'étincelle d'une vie, animée par une soif de vengeance contre cette famille qui l'avait refusée. Elle se fit appeler LIEM NDJARA. COmme on disait : "Elle allait faire mal. Dans tous les sens du terme. Sublime et dangereuse.

Elle épousa un pantin, héritier d'une coquette fortune de notables d'un village voisin, et dans le plus grand secret mena son projet de destruction... Lentement mais sûrement, pendant que les héritiers en face annulaient leurs forces au lieu de les conjuguer, s'épuisaient dans d'interminables joutes où l'argent filaient dans les poches d'avocat véreux prêts à tout pour se nourrir sur la bête, elle construisit son petit empire avec le secret dessein de semer le chaos dans le camp d'en face.  

Comme souvent, les grands réussites sont monstruosités nées de sentiments obsessionnels mal dirigés... Pendant que la famille Sick s'affaissait lentement, LIEM émergeait, grandissait, fourbissait ses armes, rachetait une à une toutes les parcelles. Officiellement elle était cette femme qui avait tout pour elle, intelligente, drôle, autodidacte, indépendante, redoutable en affaires, venue disait-on de grand Est Africain.. Elle figurait désormais parmi les 10 plus grandes fortunes du continent.

Les enfants Sick, trop douillets, ayant côtoyé de trop près les divertissements royaux de ce bas monde, les grande écoles européennes, les bonnes manières qui vous ôtent toute lucidité lorsque l'heure de la guerre a sonné, furent un à un retourné, détroussé, mis à nu, jeté à la rue.

Lorsqu'ils comprirent, il était trop tard. Lien finit par leur expliquer à chacun les raisons profondes de leur déchéance qu'elle n'avait fait qu'accélérer.

Le jour vint où elle put enfin savourer sa vengeance, au dernier étage de la tour la plus haute du continent qu'elle avait fait ériger à l'endroit exact où feu "Père Sick" avait bâti sa rutilante maison familiale devenue plus tard la mairie du village. En rasant tout, sa victoire était totale. Éclatante.

Mais rapidement, quelque chose n'alla pas... Elle se sentait étrangement triste et consulta le vieux guérisseur, Maboura. Lui voyait clair. La quête de Liem ne serait achevée que lorsqu'elle aurait chassé Yves après lui avoir racheté son bout de rien. Il avait beau être marginal, il n'en était pas moins un Sick et le dernier rejeton de la famille..

Elle partit à sa rencontre en misant sur sa cupidité. Elle lui proposa une somme faramineuse pour quitter l'endroit. Mais il refusa. Elle était agacée de constater qu'il était joyeux et positif, tout le temps.

Elle passa la vitesse supérieure et fit déverser les ordures de toute la sous-région dans le trou d'Yves pour l'empuantir et forcer son occupant au départ. Mais rien n'y fit. L'odeur était pour peu dans la plénitude que ressentait Yves a cet endroit.
 
Elle eut alors l'idée de jouer la carte de la foi et envoya un prêtre le convaincre de prier les dieux du ciel, de se tourner vers l'église. Vénérer une idole du dessous ? Quelle idée ! C'est vers les cieux qu'il devait tourner son regard, chercher la présence du tout-puissant quelle qu'eut été sa forme, son visage ; le firmament était un lieu décent, conçu pour les Dieux. Propre, ouvert aux 4 vents, une porte vers les étoiles. Mais Yves resta sourd à ces appels.

Elle chargea une agence de communication de salir la réputation d'Yves, l'accusant publiquement d'hérésie, de connivence avec les forces du mal, d'être à l'origine des moindres malheurs de la communauté. elle aurait voulu que la foule s'empare du problème et le chasse mais personne ne lui en voulait et personne ne crut aux rumeurs qu'on faisait courir sur un homme qui restait étonnamment joyeux, respectueux des autres et focalisé sur sa routine mystique (nourrir quotidiennement son jardin secret, sa grotte) sans jamais déranger quiconque.

LIEM eut alors des idées de meurtre et fit offrir des mets infectés qu'Yves, naïf, accepta de bon coeur. Il tomba gravement malade mais fut sauvé par les piqures inlassablement répétées d'abeilles voisines qui décédèrent ensuite. LIEM comprit que même les abeilles se sacrifiaient pour Yves. Il avait avec lui la protection des insectes et des animaux, prompts à intervenir au premier danger.

Alors LIEM fit envoyer des tueurs une nuit mais il ne trouvèrent point l'accès de son abri et furent en outre chassés du lieu par une nuée de chauve-souris.

Folle de rage, LIEM décida pour finir de faire empoisonner l'eau du petit ruisseau qui descendait vers la demeure d'Yves. Mais l'eau était aussi l'eau qui rejoignait les rivières et les puits de la région. les sols furent contaminés, la végétation mourut, les habitants furent frappés de maladies, tous durent quitter les lieux. Mais Yves était toujours là, aimant, debout. Indéboulonnable.

Le mal s'était abattu partout autour affectant les hommes, les cultures qui étaient venues à disparaître. La fin d'un monde était proche. LIEM resta seule au sommet de son empire, reine sans sujets, reine sans esclaves, reine sans titre, dominant la pierre et la ruine.. Elle pleura longtemps, réalisant qu'il n'y avait plus qu'elle et Yves sur cette terre dépeuplée.

Elle décida donc un matin d'aller s'aventurer dans cette fosse à purin où longtemps l'on avait jeté ses déchets, ses peaux de bananes, ses saletés pour faire fuir Yves. Il ouvrit une porte dérobée dans la roche et aussi les bras. Elle s'effondra, émue de trouver enfin l'amour fraternel qu'elle avait cherché tout ce temps sans le savoir. Il ne lui en voulait pas le moins du monde. C'est qu'il avait bon coeur Yves.
     
Liem découvrit émerveillée cette grotte au fond de laquelle Yves avait déposé des offrandes au pied d'une idole qui n'était qu'un petit objet de métal en forme de clou tordu et rouillé. Il tenait ce souvenir de sa maman, son seul souvenir, que lui avait remis ses frères à sa mort (ces derniers avaient gardé l'or, l'argent, les titres). Yves avait consacré sa vie à cette maman qu'il n'avait jamais connu en installant dans cet abri rocheux un autel à sa mémoire. 

Et ce faisant, il y avait patiemment accumulé conserves, lecture, jeux de société, bouteilles d'eau minérale vides, jetées, qu'il avait patiemment remplies d'eau de source d'avant l'empoisonnement des sols et de cette dernière, de quoi subsister quelques vies sans l'aide de personne. Son obstination à honorer le souvenir de sa mère fut tel qu'à présent il y avait de quoi accueillir LIEM NDJARA et toutes celles et tous ceux qui les rejoindraient bientôt pour vivre heureux, loin des affres de l'Ego jusqu'à la fin des temps.

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