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dimanche 17 mai 2020

Le chien qui aboyait trop fort


Auguste Lepot est un jeune homme poli, timide et sans histoires. Ou plus exactement qui ne veut pas d’histoires. C’est qu’il n’aime pas déranger, Auguste. Il a quitté voilà peu sa maison familiale de la banlieue Ouest pour rejoindre la capitale histoire d’être plus près de son lieu de travail, la Bibliothèque Fessart où il classe et archive les documents. Il habite désormais un petit appartement sur un square en pente forte juste à côté. Il y vit avec son compagnon de toujours. Goliath. Goliath est un vieux caniche au poil terne, tout maigrichon, fatigué, inoffensif mais doté d’un talent singulier qui ne va pas du tout avec son physique. Il est bruyant. Il respire et ronfle comme un ogre, il aboie comme un fauve. Quand il ouvre la gueule, on entendrait presqu’un rugissement.

Evidemment, il n’a jamais été question de problème de voisinage dans la maison de ses parents en bordure de forêt de Meudon. Il y avait un jardin et suffisamment de distance avec les maisons d’à côté. C’est d’ailleurs un détail auquel Auguste n’avait jamais vraiment prêté attention. Mais depuis son installation dans cet immeuble construit il y a plus d’un siècle et dont l’isolation laisse à désirer, la présence de Goliath est rapidement devenue le principal sujet des conversations de pallier. Les habitants sont pour certains agacés, pour d’autres exténués. Tiens, il y a par exemple Madame Staropoulos, la voisine d’à côté, qui ne ferme plus l’oeil de la nuit. Elle dit vivre « l’enfer des nuits sans sommeil » au rythme des vibrations provoquées par les ronflements nocturnes de Goliath. M Etchebarne qui vit dans l’appartement au-dessus, vit d’autant plus mal sa longue inactivité qu’il doit supporter à longueur de journée les interminables hurlements à la mort de Goliath quand son maître n’est pas là. Auguste Lepot se retrouve rapidement dans une situation impossible pour son tempérament si discret. Et puis un soir, M. Ogdon, représentant des habitants de l’immeuble vient sonner à la porte et lui expose fermement en brandissant une pétition noircie de signatures les critiques de la petite communauté à l’encontre du caniche qui insiste-t-il « fait bien trop de bruit ».

Auguste le vit très mal. C’est qu’il n’aime pas déranger. Il a bien imaginé en parler à ses parents afin qu’ils récupèrent Goliath. Mais non, non, il ne veut pas les inquiéter non plus. Ses parents vieillissent et feraient quoi d’un vieux cabot dont ils n’ont toléré la présence que pour faire plaisir à leur fils unique. Quant à l’emmener chaque jour à la bibliothèque ? Impensable. Dans ce lieu qui ne tolère que modérément le bruit, Goliath attirerait les regards. Mal à l’aise, se sentant observé, jugé, Auguste finit par se résoudre à prendre la seule décision douloureuse qui l’apaisera.

Par un matin froid et pluvieux de décembre, il explique à Goliath, pour n’éveiller aucun soupçon, qu’ils vont découvrir ensemble un nouveau centre commercial dans un quartier qu’ils ne connaissent pas. Comme convenu, Auguste attache Goliath à l’entrée du grand magasin, et doit se faire violence pour ne rien laisser paraître de l’émotion qui l’envahit lorsqu’il serre contre lui pour la dernière fois son compagnon en lâchant comme chaque samedi matin « je vais acheter le pain et le journal. A tout de suite ». Puis il disparaît à l’intérieur de la galerie marchande prenant soin de ne pas se retourner pour que Goliah ne voit pas ses yeux rouges et son visage ruisselant de larmes. A une dame attentionnée qui le sent triste, il explique poliment que c’est le vent du matin qui le « fait pleurer ». Auguste se hâte et ressort par l’arrière puis s’engouffre dans le boulevard jonché de feuilles, son cœur battant la chamade.

Goliath a confiance. Il reste tranquillement assis devant l’entrée principale, espérant à chaque ouverture des portes automatiques reconnaître la silhouette timide et maladroite d’Auguste. Mais les minutes passent et bientôt c’est une pluie soudaine qui s’abat sur le quartier cerné depuis l’aube par des nuages noirs. Le vent se lève et le coin devient glacial et désert. Goliath comprend alors qu’il est ce fantôme que plus personne ne voit. Il comprend qu’Auguste ne reviendra pas. Il devine surtout qu’il lui est arrivé quelque chose et qu’il a besoin de son aide. Maintenant. Tout de suite. Il faut faire vite. Malgré son grand âge, Goliath ronge courageusement le lien qui le retient prisonnier. Puis, déterminé, respirant le fond de l’air à la recherche d’un indice, d’une odeur familière, il disparaît dans le brouillard qui vient de recouvrir Paris.

Auguste est alors dans un état second. Il erre dans des rues qu’il ne connaît pas, s’y perd et cela doit se voir. Comme se devine sa fragilité lorsqu’il est approché par un groupe de trois jeunes gens manifestement animés de mauvaises intentions. Les silhouettes menaçantes se mettent en travers de son chemin, espérant profiter de la faible luminosité et de la brume épaisse qui les entoure. Leurs regards insistent du côté de sa montre calculatrice (un cadeau de son tonton Joe) et de sa lourde sacoche (pleine de livres à lire ou à ramener à la bibliothèque). Auguste rentre déjà les épaules, semblant accepter son sort, y voyant probablement une forme de punition pour avoir abandonné Goliath.

Mais alors que les trois assaillants l’immobilisent de façon autoritaire contre le mur, un grognement sourd déchire le brouillard derrière eux. Suivi d’un hurlement féroce. Les mauvais garçons se regardent effrayés, imaginant probablement à quoi peut ressembler ce fauve échappé d’un zoo. Le pouvoir de l’imagination. Ils s’échappent en courant. Evidemment, pour Auguste, ce cri est à la fois familier et réconfortant. Il accueille avec bonheur Goliath, les bras grands ouverts, le sert longuement contre lui, jure qu’on ne l’y reprendra plus, se perd en excuses pour après avoir si lâchement abandonné son compagnon. Il le sait, leur vie ne sera plus la même désormais. Ils vont rentrer à la maison et peu importe ce que diront les voisins de l’immeuble ou les gens dans la rue, Auguste défendra Goliath, défendra son aboiement si unique, défendra leur amitié contre vents et marées.

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