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dimanche 28 novembre 2021

Papounet, Elsa et Zelie en vadrouille


Papounet. On l'appelait affectueusement Papounet. C'était le plus gentil des papas et c'était bien le problème. C'était un papa dans l'indécision permanente. Il n'osait pas prendre de décisions pour sa famille. Choisir lui coûtait terriblement. Il était parfois tellement en retrait qu'on pouvait oublier qu'il était dans la pièce. Sa femme et ses 2 merveilleux enfants le menaient littéralement par le bout du nez. Les marmots surtout faisaient la loi. Papa disait amen à tout.

"Un papa en dessous de tout" lui murmurait-on à la maison.

Comment dès lors ne pas s'emmurer dans une absence à soi-même et aux autres ? Il en laissait le soin à sa femme et même à ses 2 fils, respectivement 3 et 10 ans, lorsque sa femme était absente.

Ses fils l'appelaient "trois petits points" pour les immenses plages de silence dont il était coutumier. Sa femme s'interrogeant à voix haute sur la façon dont il avait bien pu "faire bac + 5". C'était pour elle une énigme. Elle lui rétorquait toujours qu'elle ne supportait plus d'avoir "3 petits garçons" à la maison.

Papounet avait pourtant eu des tas de projets, des projets plein la tête, mais il n'avait pas su les mener à leur terme. Sa femme moquait ce goût pour l'idée, la création pure. A tout bout de champs elle le raillait en présence de ses fistons.

"ouarf ouarf papa et ses projets.... Mais où est l'argent le père ?

Evidemment ppur elle une idée n'avait rien de noble, ça valait 1 euro tout au plus. Ca leur servirait à quoi ? Même pas payer une "tradition". Lorsqu'elle revenait de chez un des leurs amis habitant une maison sur les hauts de Suresnes, elle ne manquait jamais d'asséner :

"J'ai honte quand je reviens de chez tes amis, regarde où tu nous fais vivre"   

lls habitaient un joli 2 pièces de 44 mètres carrés qui obligeaient les parents à dormir dans le salon. Les fistons se partageaient la chambre. 

Usé par la répétition, perdant pied et le peu de confiance qui subsistait en lui, Papounet s'affaissa, perdit pour commencer son travail, alimentaire, puis se recroquevilla sur ses peurs bien réelles dans cet appartement qu'il avait pourtant acquis à la sueur de son front, qui était même déjà remboursé. Ils étaient dans le plus bel endroit du monde, au pied des Buttes Chaumont. Mais rien ne trouvait grâce aux yeux de son épouse. Tout était médiocre à ses yeux.

Il avait désormais tellement peur, y compris de son ombre, qu'il ne sortait plus de chez lui. Quand les enfants ont peur du noir, lui redoutait à présent jusqu'à la lumière du jour, le vaste monde extérieur le déstabilisait. Tout était bon pour rester cloitré.

Il était au garde à vous pour les tâches ménagères, la vaisselle, la machine, le repassage, pour les devoirs, les anniversaires, les jeux. Puisqu'il était devenu un énième meuble dans ce petit espace.

Il acquiesçait. Il acceptait. Sans broncher.

Et puis un matin, au début de l'été, sa femme avait décidé sans lui en parler de partir en vacances avec ses fils chez une cousine installée sur l'Île de Beauté. Tous trois partirent et il resta seul. Il se sentit profondément seul, inutile et pire : transparent.

Il en résulta un profond désarroi, une lame de fond qui lui donna la force d'aller acheter en alcool de quoi assommer un Pottok. Ou deux. Il avait pourtant arrêté de boire et de fumer depuis plus de 2 ans.

Il procéda minutieusement. Verre après verre. Cherchant dans le suivant celui qui finirait le travail. Mais pour aller jusqu'où ainsi ? Quelles improbables limites cherchait-il à tutoyer ?

Il le fit si généreusement, si totalement, sans la moindre arrière pensée qu'il rouvrit les yeux au milieu de la nuit dans le couloir de l'entrée contre le Meuble qui soutenait le petit aquarium et ses deux habitantes.

Douleurs vives aux deux genoux, il avait dû tomber lourdement.

Il eut alors une révélation.

Voilà donc les seules habitantes de ce lieu qui le respectaient, le laissaient décider, choisir, se dit-il en rouvrant les yeux. Elsa et Zélie. Les poissons rouges de ses fils qui ne s'en occupaient guère et que Papounet choyait avec un sens profond du devoir.

Il aimait sentir l'excitation d'Elsa ou la retenue de Zélie tout au contraire, lorsqu'il s'approchait pour leur donner à manger, pour disperser une poignée de paillettes à la surface de l'eau ou lorsqu'il s'apprêtait à nettoyer l'Aquarium (elles avaient ce sixième sens qui leur faisaient comprendre quelques minutes avant ce qui se tramait à leur endroit).

C'est pourquoi il décida sur le champ qu'il lui fallait nettoyer l'aquarium, y trouver une énergie, un chemin pour ne pas sombrer à nouveau. Au diable le mal de crâne, les douleurs aux genoux, il se mit à la tâche mais sous-estima la décoordination de ses gestes, le décalage immense qui existait à cet instant précis entre sa volonté et ce que son corps était en capacité d'exécuter. Basse besogne.

BLANG CRASH SPLASH

L'aquarium des mille morceaux déclara sa flamme au carrelage. Elsa et Zélie suffoquèrent, gesticulant au milieu des décombres.

Dans la cohue, le tibia de Papounet fit connaissance avec un angle obtus d'un angle  d'aquarium. Ouverture et saignement. Ecartement et profondeur. 

L'eau et le sang. Le sang et l'eau. Une deuxième glissade. La douleur. 

Papounet n'en avait cure il était en mission. Pour Zélie, pour Elsa. Il se précipita dans la cuisine, chercha fébrilement deux petits sacs isotherme qu'il remplit consciencieusement d'eau fraîche. Pas trop froide. Chacun le sien. Zélie et Elsa furent sauvées. Pour un temps au moins.

Il devait maintenant penser à lui, à cette jambe entaillée, qui saignait abondamment.

Il ne sut jamais vraiment plus tard, après coup, dans quel sens s'enchaînèrent les évènements qui suivirent.

Probablement qu'un Taxi fut là pour commencer, qu'il eut la gentillesse de prendre un type pas vraiment  dans son état normal, plus de ce monde le temps le temps de quelque heures. Peut-être que la vue de ces deux petits sachets "poissonneux" serrés contre le petit coeur de l'homme en déroute avait attendri le chauffeur. Peut-être que le grand manteau qu'il avait machinalement endossé avait empêché qu'on ne lui vit tout ce sang maculant sa jambe nue bien emmitouflée dessous, vision qui aurait pu rebuter quiconque en toute autre circonstance.

Papounet fut accueilli à l'hôpital Saint Louis. Il fut recousu. Une jeune femme pour qui c'était une première. Elle s'en expliqua et lui fut marqué par cette douceur, cette volonté sincère de prévenir

"Vous êtes ma première suture

"je suis votre cas pratique hein.... Prenez soin de cette jambe, Ces deux là ont encore besoin de leur vieux papa, ajouta-t-il mollement en désignant les occupants des 2 sacs isothermes qui semblaient observer, inquiètes, la scène opératoire.

Puis Papounet fut, dehors, quelque part, sur les rebords du canal Saint-martin. Les lettres du Jemmapes l'aveuglaient. Il dut ôter ses lunettes, les nettoyer comme il pouvait à l'aide de son vieux tee shirt troué, celui qu'il utilisait pour dormir.

Il sourit, heureux d'avoir inventé la promenade de ses poissons rouges. C'était un pionnier en matière. Les chiens, les chats, tout ça c'était de l'histoire ancienne. L'avenir était aux poissons rouges. C'est ce qu'il leur murmura 

" L'avenir vous appartient les filles

En libérant Zélie et Elsa de leur petits cachots de plastique. Elle hésitèrent quelques instants à la surface cherchant qui sait, son regard, pour le remercier ou s'assurer que tout irait bien. Il les rassura d'un geste fragile de la main gauche avec le pouce levé.       

Il ne se rappelait pas comment tout s'était enchaîné ni depuis combien de temps il était penché sur son reflet dans le canal. Il se souviendrait toujours en revanche de l'apparition à ses côtés dans le reflet de cette jeune femme. De sa voix douce.

"Vous leur avez rendu leur liberté ?  

En se retournant, il avait acquiescé en reconnaissant la jeune femme qui l'avait recousu quelques heures plus tôt.        

"Je suis content que vous soyez là. Qu'est-ce qu'on fait ?

 "Qu'est ce qui vous fait envie ?

" je connais une bonne pizzeria ouverte toute la nuit? J'y allais plus jeune...

" Allons-y !

La suite leur appartint.

Il reprit le fil de sa vie au retour de sa femme et de ses deux petits hommes deux semaines plus tard et ne fut plus jamais le même.



    


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