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dimanche 9 août 2020

Le visiteur de 4H48


J'avais 16 ans. Des années plus tard, le rêve comme le réveil dans mon souvenir, ont le même éclat, la même noirceur lumineuse, cette sensation qu'ils eurent lieu l'un puis l'autre il y a seulement quelques heures. Je leur garde la familiarité de ces retrouvailles si particulières avec ces amis, rares, perdus de vue et qui vous donnent le sentiment qu'on les a quitté la veille.

Cette fameuse nuit, je suis expulsé d'un mauvais rêve, à la faveur d'un stratagème ingénieux. S'y joue ce que d'aucuns appellent un rêve lucide, j'ai mené ma petite enquête. Je me retourne donc pour la première fois dans le rêve histoire de faire face à mon poursuivant... Il est à mes trousses depuis des lustres me semble-t-il et mes gestes lents, gourds m'empêchent de prendre une avance décisive dans la course effrénée qui se joue sur un balcon étroit, tout en longueur, au 10ème étage d'un immeuble de Banlieue Ouest. La mer d'un bleu calme et profond menace calmement partout autour, d'autres immeubles dont le sommet vacille, léchés par la surface de l'océan à perte de vue, semblent sur le point d'être engloutis. Nous sommes tous les 2 perchés, aveuglés, sur ce sommet, un îlot des survivants au milieu de nulle part. Ecrasés de tout ce bleu. La créature me dévisage à présent, elle est toute proche. Je peux sentir son haleine fétide lorsque je lui dis mes yeux plongés dans les siens quelle a globuleux et rapprochés en l'absence de nez et de grâce pour dire la vérité :

- je sais parfaitement que je rêve et ce rêve, c'est le mien vous voyez, il n'est que le fruit de mon imagination, alors écoutez, je vais fermer les yeux là maintenant et me réveiller dans la foulée et nous n'en parlerons plus !

La chose a essayé de dire quelque chose... Rien de bien intelligible et c'est alors précisément que j'ai rouvert les yeux.

Il est 4h48. L'appartement est plongé dans l'obscurité, Vélizy dort et j'entends au loin quelques véhicules  filer dans la nuit profonde, je devine leurs conducteurs rêvant d'une cuisine faiblement éclairée, d'un morceau de quelque chose à se mettre sous la dent avant de rejoindre leurs draps chauds et de se glisser contre leur moitié, pleins et lourds, le ventre et la tête vides à part égale, avec une irrépressible envie de s'abandonner.

La douleur est encore vive malgré les points de suture. Les chairs de l'avant-bras sont à vif et je suis le seul à savoir que j'espérais secrètement qu'arrive le pire quand c'est arrivé. Sur un malentendu, ça peut régler pas mal de souffrances. Au départ il n'y a qu'une dispute un peu quelconque à l'internat, pendant l'heure d'étude, mais le prétexte est rêvé, le réflexe fatal. J'avais de rage frappé du poing dans la baie vitrée de la salle d'études, voilà tout.

Je rejoins la salle de bains. Je me souviens que l'appartement est vide (où sont alors mes parents ? je ne saurais le dire). Le vent souffle dehors, c'est l'automne, des feuilles volent entre les immeubles impeccablement ordonnés les uns par rapport aux autres. Pas de lumière à la fenêtre d'Elke, ma voisine exhibitionniste. Je n'ai pas pris le soin d'allumer quoi que ce soit, encore trop confus, le regard perdu quelque part sur le sol, du carrelage froid, à essayer de me rappeler (comme ces personnes frappée d'Alzheimer et qui luttent pour faire reculer la maladie en récitant à voix haute les numéros de téléphone de leur femme, de leurs enfants...) ce que mon agressseur avait essayé de me dire.

Je regarde quelque part entre mes deux pieds qui battent une mesure inaudible j'y vois cette forme minuscule, immobile mais qui semble être inerte à dessein. C'est mon ressenti. Elle n'a point l'intention de me révéler sa présence. Cette forme ne me rappelle rien de connu. Trop petit pour être un cafard, trop gros pour une fourmi. C'est une ombre. Peut-être n'est-ce qu'un bout de quelque chose qui se serait extrait avec moi de mon sommeil ? Je me demande alors ce que signifiait ce mauvais rêve puis je m'interroge : les objets inanimés ont-ils une âme ? Cette forme immobile ne serait-elle pas ici et maintenant sous mon nez pour me signifier de ne jamais me fier aux apparences ?  La lumière (un lampadaire) qui vient jusqu'à moi faiblement par la lucarne entrouverte de la salle de bain est la seule source fiable, diffuse, qui peut faciliter mon jugement. La fenêtre résiste au vent qui vient de s'engouffrer avec appétit par les béances qui l'encadrent lorsque mon regard revient sur la chose qui se déplace enfin, semble voler. je ne saurai jamais. Etait-ce le fait de sa volonté ou du courant d'air venu de la rue. J'ai rallumé la lumière, ratissé l'appartement. Rien.

Je garde néanmoins cette étrange impression que l'entité qui me fit face dans mon rêve était la même que celle, minuscule, qui me scruta depuis le carrelage froid. Je fus pris de cette conviction un peu folle que le visiteur de 4h48 comme le poursuivant dans mon rêve étaient un même spectateur ému, maladroit et désireux de me voir de plus près. De toucher du doigt son idole, de le ressentir, de le humer, de le dévorer d'un oeil ou même deux. De lui remonter le moral surtout... C'est une intuition furtive, l'espace d'un flash, j'ai acquis la certitude (qui ne m'a jamais quitté depuis) que chaque nuit nos rêves n'ont pas d'autres fonctions que de divertir la masse intergalactique d'extraterrestres cinéphiles, d'être projetés dans des salles obscures aux 4 coins de la galaxie pour ces spectateurs curieux et avides du prochain chef d'oeuvre sortie de nos cerveaux engourdis. Ce truc était un fan absolu venu m'expliquer qu'il avait encore besoin de ma présence au monde, que moi en vie, c'était des milliards de fans aux confins de la voie lactée qui ressentaient du bonheur. Il fallait leur en donner.

Je finis par me convaincre que Porrapossa (c'est le seul son que j'avais retenu de ce qu'il avait essayé de me dire au sommet du dernier immeuble dépassant de l'immensité aveuglante et bleutée juste avant que je ne prenne congé) avait préféré transgresser avec courage une loi cosmique réputée inviolable pour se réincarner dans cette bestiole qui n'avait évidemment rien de désirable et devait probablement vivre dans les canalisations suintantes de Vélizy, cette ville nouvelle, cité champignon des rebords de Paris. Et si j'avais pu susciter un tel désir de venir à ma rencontre, c'était que je devais avoir quelques qualités qui m'échappaient encore totalement. C'est ainsi que j'ai lentement mais sûrement pu reconstruire un peu d'amour propre et de confiance en moi.

C'est pourquoi je profite de ce témoignage pour lui dire ceci : où que tu sois,  petit visiteur de 04h48 cette nuit-là, laisse-moi te dire merci car je ne fus plus jamais le même après. Et chaque fois que je m'endors depuis, je sais que mes rêves qui vous tiennent lieu de blockbusters dans les salles obscures de vos mondes lointains y sont attendus, espérés comme le prochain James Bond. Arrivederci mon cher fan. Nous nous retrouverons tôt ou tard. J'en fais le serment. Foi de Porrapossa.             

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