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lundi 17 juillet 2023

Tout est juste

Céline, elle aimait ressasser.

Paris. C'était l'illumination aux illuminés. Il devenait urgent de s'extraire. De s'extirper. De s'exfiltrer. Ville de ripoux. Vue de côté, une forme oblongue, pas nette. Il fallait s'ôter de là. Chercher le bon goût plus loin. Sans rire, on nous menait par le bout du nez Pour mieux nous asservir.

Elle sut me convaincre et notre jeune couple se hâta de partir. Quitter la capitale, comme on dit. Parce que tout y puait à la longue. Personne n'y pouvait rien. Renaître ailleurs, c'était la seule issue. Moi je voulais que son bien. 

Céline elle aimait organiser.

C'est Angers qui nous tendit les bras. Ce serait Angers. S'y repaître. Angers, on ne connaissait guère, c'était pas loin, la promesse d'un jardin, d'un barbecue l'été, d'enfants batifolant dans un bain de verdure. Pour l'enfant qui viendrait un jour. Probablement.

Commença le cirque de la pureté, son cycle aérien. Celui de sa recherche éperdue. Nous allions retrouver langue avec la nature. Machine après machine, lavage après lavage, c'était ça nos vies. Plus blanc que blanc. Retaper la ferme. Son corps. L'entretenir. Ecouter son corps par la même occasion. Vivre en autarcie. Heureux. je le vivais parfois comme une injonction. Mais je n'en disais rien. "Ne dépendre que de soi" qu'elle répétait. Respecter toute vie. De celle du paon à celle du moustique, de celle de l'arbre à celle des planètes. Sous l'égide bienveillante de l'éternelle "Flamme violette". Céline en était folle. Trouvait un sens à nos vies sur la moindre éclaircie après l'averse. Apoticaria. Dioxyde de chlore. Capsule d'iode, autant de noms d'oiseaux pour mieux asseoir l'horreur qu'elle avait de la société moderne qui voulait nous empoisonner avec son gluten, ses produits industriels qui ne cherchaient qu'à asservir nos consciences. Nous réduire à l'état d'esclaves. Moi je ne voulais que son bonheur. Pourquoi la contrarier ? Un proverbe tunisien raconte que si l'homme sur son bourricot te fait "regarde comme il est beau mon mustang", il ne faut jamais casser son délire !

Ca allait toujours tant qu'à ses yeux "tout était juste". C'était son mot d'ordre. Tout devait être juste... Le monde ajustait nos shakras. On se tint aussi loin que possible des mauvaises ondes. En sachant qu'un rien pouvait effondrer nos merveilleux châteaux de cartes. Fragile, toujours, est le chemin qui mène aux étoiles. Mais à ce compte-là, on ne se fit pas beaucoup d'amis. Les voisins recelaient chacun quelque chose de sombre, de trouble, de pas bon. "On ne savait pas ce qu'ils avaient dans la tête" qu'elle bredouillait parfois.

Céline, c'est qu'elle était difficile.

Bien sûr, tout n'alla pas de soi mais nous n'étions pas complètement seuls. Il fallut que son Papa nous aide. Pour acheter la ferme déjà. Pour permettre notre installation aussi. Il finançait, moi je retapais  comme je pouvais. C'était ma modeste contribution. Je savais faire. Tous corps d'état. J'avais fait mes preuves.

Mais en tout état de cause, c'est la force invisible de Dieu qui pourvoyait, répétait-elle à l'envi. Sa lumière verticale qui baignait nos fronts bénis. Et chaque petit oiseau qui chantait ici ou là dans les prairies autour était un signe de la chance qui nous accompagnait. Chaque jour, nous devions remercier la vie. par des étreintes palpables, sonores. tout devait être ferme, la main, le corps. Des respirations profondes. Elle en était sûre, nous étions heureux. C'était un ordre divin. Il ne fallait surtout pas s'y soustraire. 

Et puis des amis de notre vie d'avant vinrent de Paris nous rendre visite. Ils se plaignaient de la Capitale. Comment ne pas leur donner raison ? Ils repartirent comme ils étaient venus. Tard dans la nuit. Et pour la première fois, je tentai d'ouvrir les yeux de Céline sur ce qui n'allait plus. J'etouffai. Il fallait que ça sorte.

"Tu sais, on leur a dit qu'il fallait aller plus loin pour trouver une piscine et on leur a montré la nôtre.

Elle n'eut pas l'air de comprendre.

"Mais la piscine, c'est le bras armé du capitalisme à bas bruit ! Avais-je ajouté pour qu'elle comprenne bien le fond de ma pensée.

A son initiative, elle trouvait les étés chauds, la chaleur nuisait à l'équilibre de nos Shakras. On avait donc investi dans une grande piscine en plastique bleue que j'avais installée. Facile à monter.

j'ajoutai pour enfoncer le clou 

"Quand on leur explique que la liberté c'est travailler d'où on veut aujourd'hui. Que par video désormais on peut chercher de nouveaux marchés, on leur renvoie l'image même de ce qu'est leur vie des bobos parisiens... Ils savent déjà tout ça.

Céline avait lancé depuis peu une activité de cours d'Athayoga très efficace, investissant dans le développement d'une app au top et faisant venir avec l'argent de Papa une Yourte spécialement du pays des Yourtes pour gagner en crédibilité, apportant un soin tout particulier aux éclairages à l'intérieur. Une activité en présentiel ou pas avec rendez-vous par visio et tout le toutim. Paiement par virement bancaire. Amex, Mastecard, VISA. On s'était mis à la page, on nétait pas là pour enfiler des perles. Tout était juste. Jusqu'aux comptes, jusqu'aux bons amis restés à Paris.

Le résultat était peu ou prou celui auquel arrivent les bien nés des grandes écoles de commerce qui s'expatrient au Portugal (fiscalité oblige, d'une pierre deux coups) ou qui se lancent dans une activité méditative pensant échapper à une trajectoire qui n'a dévié d'un yota que dans leur réalité fantasmée.

Céline me répondit sèchement que je faisais du mauvais esprit, qu'elle le ressentait, que de vilaines vibrations avaient soudain brouillé ses ondes électromagnétiques du bonheur. Et puis avait-elle conclu de bonne foi, il fallait bien vivre, nous on s'informait, on restait connectés au monde et aux opportunités qui s'offraient à nous.... Quoi de plus normal ? 

Mais enfin, lui dis-je, nous ne faisons rien d'autre ici que ce que font les petits enfants du capital lançant leur business en ligne depuis Paris. La loi du marché est venue nous rattraper par la peau des fesses en rase campagne.

"Ce que je veux dire c'est qu'on aurait pu rester à Paris si c'était pour revivre ce qu'on s'était entêté à fuir.

La tyrannie de l'activité permanente était à nouveau sur nos têtes lourdes.

Le cirque éternel de la capitulation loin de la capitale se mue en recapitalisation par l'esprit du ventre

Je notai ça quelque part. Je trouvais la formule obscure et éclairante à la fois.

Elle refusa de le voir. De l'accepter.

J'avais trop voulu lui faire plaisir, la savoir heureuse. Je m'étais aplati. Et je compris dès lors que rien n'y ferait. Aucune fortune, aucun geste insensé... Elle était bel et bien dans sa tête, toute seule, sûre que tout était juste tant qu'elle le déciderait pour nous.

Alors bien sûr, la contredire polluait les ondes du lieu, en cassaient l'harmonie profonde. En larmes, elle me conjura de la quitter.

"Pour le bien des lieux"

"Tu as changé, un gars bien doit défendre les siens, coûte que coûte, tu nous fais trop de mal..."

Finit-elle par conclure en me congédiant.

J'avais essayé de dire le fonds de ma pensée... J'avais eu le temps de retaper la maison au point que sa valeur avaient quadruplé... Je repartis les mains et les poches vides mais les idées claires et fier d'avoir su finir par rester moi-même.

Je rentrai à Paris. J'ai depuis des nouvelles par des amis communs. J'ai appris récemment qu'elle avait tout misé sur les animaux, domestiquant jusqu'aux oiseaux sauvages contre leur gré, organisant des visites de sa ferme Orwellienne pour les écoles de la région. Voulait-elle anticiper le déluge ? J'avais contribué à construire son arche (cette maison prendrait un jour l'eau à coup sûr) et voilà qu'elle commençait à la peupler. Bouquetins, Paons, Perruches, Chats, chiens, veaux, vaches... Mais toujours pas d'enfants. Ni de compagnon. 

Mais à trop jouer avec le feu, est arrivé ce qui devait arriver. Un accident malheureux après qu'elle eut recueilli un énième chien errant, baptisé "Pouilleux". Evidemment, la ménagerie a ses lois. Le nouveau venu eut le plus grand mal à se faire accepter des plus anciens. Lors d'un énième accrochage entre la cuisine et la salle de bains (une histoire de territoire)  Céline voulut s'interposer et fut mordue profondément à l'avant-bras par Pouilleux. Sur le coup, soins, pansements, Biafine, repos.

Mais bientôt, ce fut infection nosocomiale, amputation du bras, retour express à Paris. Pour être aux portes des meilleurs services spécialisés. Suivie de très près par les plus grands spécialistes. Depuis elle aime Paris, elle y est bien. je crois que ça la rassure.

Le monde change mais il est toujours là. Tout n'est qu'illusion pour les immobiles dont le cadre autour varie imperceptiblement sans que leur moi profond n'ait été ébranlé même une demi seconde. Le capital est ici et partout. Tout le temps. Quoi qu'on en pense.

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