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dimanche 4 octobre 2020

Les Azalées


A la mort de son père, Côme a hérité des Azalées, une sacrée maison. Pas facile la demeure. Achetée par le paternel, Manex (prononcer Manech), qui nourrissait alors des ambitions dévorantes, qui avait des vues sur le monde possiblement égotiques. Chef d'entreprise diplômé de Polytechnique, Manex était promis à un grand destin grâce à l'amour débordant mis en lui par une mère le préférant visiblement à ses 4 frères, voilà qui l'avait programmé pour réussir, réussir, réussir et donner raison à sa maman d'avoir mis autant d'espoir en ce fils prodigue. C'est que 1) il ressemblait beaucoup à sa mère 2) il avait failli mourir à la naissance au coeur d'un hiver rigoureux. L'hiver 41.

La maison en impose, c'est une maison de Maître, qui ne souffre pas la critique bien sûr mais tellement peu pratique à exploiter : chaque pièce y est une pièce unique, chaque volet chaque fenêtre, du sur-mesure. Un projet à la démesure de son père. Impossible à aménager sans dénaturer le lieu. Pour Côme un véritable casse-tête.

Naturellement, son père ignorait que le fils se sentirait écrasé par la demeure, dans une souffrance à en assumer l'héritage. Est-ce que Belmondo, Delon, Chaplin, Roosevelt, Einstein ont pu imaginer que de ce qu'il s'octroyait de leur vivant leur serait retranché à travers leur progéniture ? Est-ce que notre descendance, notre prolongement, ce n'est pas aussi nous ? Sommes-nous plutôt ondes ou plutôt particules ? Et que nous enseigne le jazz à ce sujet ? Que nous ne ferions qu'ondoyer après tout.

Côme savait sans savoir le verbaliser que son papa vivait sous l'influence subtile et néfaste de la belle mère qui, psychologue de son état, ne résistait pas, c'est humain, au plaisir de la suggestion psychanalytique, déformation professionnelle, manipulation assumée dans les angles morts, autour des signaux faibles. Manex aura vécu les 7 dernières années de sa vie avec cette femme. Son humour longtemps potache avait même fini par tourner autour de remarques à Côme du genre de "Si tu continues, je vais te déshériter". Humour Lacanien ou Freudien ? Difficile à dire. Sauf que son épouse était de l"école Lacanienne. Probable que l'humour avait été livré avec le packaging, l'enveloppe, l'embrigadement idéologique. La projection sur les murs lavés du monde extérieur de préoccupations "essentiellement" matérielles chez la belle-mère qui avait simplement déteint sur le paternel. Quoi de plus naturel ?

Côme proposait des vacances en tête à tête avec papa Manex, et c'est papa pourtant à la retraite qui répondait gêné aux entournures, comme sous emprise : "j'attends les vacances de Maria-Teresa". C'est qu'il avait été anesthésié, incapable de vivre sa retraite comme il l'entendait, autrement qu'à travers une figure recomposée (les plats lyophilisés), sans amour, sans véritable sens, avec cette idée de l'homme et de la femme prenant ensemble, de concert, les décisions les plus enfantines : Qui descend les poubelles ? Qui fait la vaisselle ? Qui enfante ?  Qui met au monde ? Qui chasse ? Qui ramène à manger ? Toi et moi ? Toto et lolo. Tous enfants compris.

Côme est de ce fait fragile lorsqu'il hérite. Et pour ce que la maison représente et pour la relation empoisonnée qui s'annonce avec la belle-mère qui fuit ses responsabilités et ne participe en rien à l'entretien de la demeure. Il y reste seul, prisonnier de celle qui semble le scruter par au-dessus. A mesure que Les Azalées grandit dans son esprit pour mieux l'assommer, à mesure que les charges s'accumulent et les coups durs (fosse septique à rénover, termites à chasser, bois pourri à remplacer, fuites sur le toit, peinture extérieure à la fin de quelque chose, quelques arbres malades qui finissent par tomber chez le voisin, cambriolage aux premiers jours du printemps...), il comprend que de cette impossibilité cumulative naît sa capacité à faire face par le biais le plus simple, gai, vivant qui soit : l'écriture.

C'est qu'il a toujours aimé ça Côme. A 12 ans il écrivait. Mal mais il aimait ça, se réveiller avant les autres, déchirer le silence des mouvements gauches de ses doigts sur le clavier du Minitel. Depuis, il n'a eu de cesse d'écrire la grande oeuvre maladroitement. Tous les chemins frayés ont fini par mener aux Azalées. Le noeud gordien, Le centre de gravité... Des récits entremêlés de toutes époques, de toute saison où histoire familiale après histoire familiale, destin exemplaire contre destin funeste, il accouche sur des bouts de papier qu'il ne respecte jamais assez de ce récit protéiforme sous la forme de fables avortées, interrompues, inachevées mais aussi riches sur le plan narratif qu'instructives au final pour prend le temps de vraiment les lire.

Ces écrits connaîtront finalement le succès, ironie du sort, au moment où l'Etat s'apprêtait à raser la maison devenu château hanté de la belle aux bois dormant semblant vouloir s'effacer derrière un enchevêtrement sans fin de ronces, de pudeurs inavouées, d'interminables acacias. C'est ainsi que naîtra le culte de la bâtisse par des lecteurs du monde entier et la demeure retrouvera son lustre d'antan (celui dont rêvait son père lorsqu'il avait acheté "la plus belle maison du village") grâce à des mots, grâce à des feuilles, grâce à l'imprimerie ! Et grâce à la facétieuse imagination d'un créateur venu à la création par nécessité. A quelque chose malheur serait bon.

Le récit entrecoupé, laisserait entrevoir des trappes secrètes, des indices amènent à penser qu'encore aujourd'hui la maison Les Azalées abrite les secrets de la genèse de ses Contes du Moulin et de la Montagne, qu'elle est un casse-tête à elle toute seule, et que chacun génération après génération pourra venir tenter sa chance comme du temps révéré d'Arthur et de cette épée magique que tout un royaume voulut venir libérer de la pierre... transformant un sous-bois quelconque en centre du monde pour une infinité de rêveurs convaincus que le vagabondage de l'esprit dépassera toujours de loin les possibilités (pourtant parfois folles) qu'offre le réel.
                      

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