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dimanche 28 novembre 2021

Papounet, Elsa et Zelie en vadrouille


Papounet. On l'appelait affectueusement Papounet. C'était le plus gentil des papas et c'était bien le problème. C'était un papa dans l'indécision permanente. Il n'osait pas prendre de décisions pour sa famille. Choisir lui coûtait terriblement. Il était parfois tellement en retrait qu'on pouvait oublier qu'il était dans la pièce. Sa femme et ses 2 merveilleux enfants le menaient littéralement par le bout du nez. Les marmots surtout faisaient la loi. Papa disait amen à tout.

"Un papa en dessous de tout" lui murmurait-on à la maison.

Comment dès lors ne pas s'emmurer dans une absence à soi-même et aux autres ? Il en laissait le soin à sa femme et même à ses 2 fils, respectivement 3 et 10 ans, lorsque sa femme était absente.

Ses fils l'appelaient "trois petits points" pour les immenses plages de silence dont il était coutumier. Sa femme s'interrogeant à voix haute sur la façon dont il avait bien pu "faire bac + 5". C'était pour elle une énigme. Elle lui rétorquait toujours qu'elle ne supportait plus d'avoir "3 petits garçons" à la maison.

Papounet avait pourtant eu des tas de projets, des projets plein la tête, mais il n'avait pas su les mener à leur terme. Sa femme moquait ce goût pour l'idée, la création pure. A tout bout de champs elle le raillait en présence de ses fistons.

"ouarf ouarf papa et ses projets.... Mais où est l'argent le père ?

Evidemment ppur elle une idée n'avait rien de noble, ça valait 1 euro tout au plus. Ca leur servirait à quoi ? Même pas payer une "tradition". Lorsqu'elle revenait de chez un des leurs amis habitant une maison sur les hauts de Suresnes, elle ne manquait jamais d'asséner :

"J'ai honte quand je reviens de chez tes amis, regarde où tu nous fais vivre"   

lls habitaient un joli 2 pièces de 44 mètres carrés qui obligeaient les parents à dormir dans le salon. Les fistons se partageaient la chambre. 

Usé par la répétition, perdant pied et le peu de confiance qui subsistait en lui, Papounet s'affaissa, perdit pour commencer son travail, alimentaire, puis se recroquevilla sur ses peurs bien réelles dans cet appartement qu'il avait pourtant acquis à la sueur de son front, qui était même déjà remboursé. Ils étaient dans le plus bel endroit du monde, au pied des Buttes Chaumont. Mais rien ne trouvait grâce aux yeux de son épouse. Tout était médiocre à ses yeux.

Il avait désormais tellement peur, y compris de son ombre, qu'il ne sortait plus de chez lui. Quand les enfants ont peur du noir, lui redoutait à présent jusqu'à la lumière du jour, le vaste monde extérieur le déstabilisait. Tout était bon pour rester cloitré.

Il était au garde à vous pour les tâches ménagères, la vaisselle, la machine, le repassage, pour les devoirs, les anniversaires, les jeux. Puisqu'il était devenu un énième meuble dans ce petit espace.

Il acquiesçait. Il acceptait. Sans broncher.

Et puis un matin, au début de l'été, sa femme avait décidé sans lui en parler de partir en vacances avec ses fils chez une cousine installée sur l'Île de Beauté. Tous trois partirent et il resta seul. Il se sentit profondément seul, inutile et pire : transparent.

Il en résulta un profond désarroi, une lame de fond qui lui donna la force d'aller acheter en alcool de quoi assommer un Pottok. Ou deux. Il avait pourtant arrêté de boire et de fumer depuis plus de 2 ans.

Il procéda minutieusement. Verre après verre. Cherchant dans le suivant celui qui finirait le travail. Mais pour aller jusqu'où ainsi ? Quelles improbables limites cherchait-il à tutoyer ?

Il le fit si généreusement, si totalement, sans la moindre arrière pensée qu'il rouvrit les yeux au milieu de la nuit dans le couloir de l'entrée contre le Meuble qui soutenait le petit aquarium et ses deux habitantes.

Douleurs vives aux deux genoux, il avait dû tomber lourdement.

Il eut alors une révélation.

Voilà donc les seules habitantes de ce lieu qui le respectaient, le laissaient décider, choisir, se dit-il en rouvrant les yeux. Elsa et Zélie. Les poissons rouges de ses fils qui ne s'en occupaient guère et que Papounet choyait avec un sens profond du devoir.

Il aimait sentir l'excitation d'Elsa ou la retenue de Zélie tout au contraire, lorsqu'il s'approchait pour leur donner à manger, pour disperser une poignée de paillettes à la surface de l'eau ou lorsqu'il s'apprêtait à nettoyer l'Aquarium (elles avaient ce sixième sens qui leur faisaient comprendre quelques minutes avant ce qui se tramait à leur endroit).

C'est pourquoi il décida sur le champ qu'il lui fallait nettoyer l'aquarium, y trouver une énergie, un chemin pour ne pas sombrer à nouveau. Au diable le mal de crâne, les douleurs aux genoux, il se mit à la tâche mais sous-estima la décoordination de ses gestes, le décalage immense qui existait à cet instant précis entre sa volonté et ce que son corps était en capacité d'exécuter. Basse besogne.

BLANG CRASH SPLASH

L'aquarium des mille morceaux déclara sa flamme au carrelage. Elsa et Zélie suffoquèrent, gesticulant au milieu des décombres.

Dans la cohue, le tibia de Papounet fit connaissance avec un angle obtus d'un angle  d'aquarium. Ouverture et saignement. Ecartement et profondeur. 

L'eau et le sang. Le sang et l'eau. Une deuxième glissade. La douleur. 

Papounet n'en avait cure il était en mission. Pour Zélie, pour Elsa. Il se précipita dans la cuisine, chercha fébrilement deux petits sacs isotherme qu'il remplit consciencieusement d'eau fraîche. Pas trop froide. Chacun le sien. Zélie et Elsa furent sauvées. Pour un temps au moins.

Il devait maintenant penser à lui, à cette jambe entaillée, qui saignait abondamment.

Il ne sut jamais vraiment plus tard, après coup, dans quel sens s'enchaînèrent les évènements qui suivirent.

Probablement qu'un Taxi fut là pour commencer, qu'il eut la gentillesse de prendre un type pas vraiment  dans son état normal, plus de ce monde le temps le temps de quelque heures. Peut-être que la vue de ces deux petits sachets "poissonneux" serrés contre le petit coeur de l'homme en déroute avait attendri le chauffeur. Peut-être que le grand manteau qu'il avait machinalement endossé avait empêché qu'on ne lui vit tout ce sang maculant sa jambe nue bien emmitouflée dessous, vision qui aurait pu rebuter quiconque en toute autre circonstance.

Papounet fut accueilli à l'hôpital Saint Louis. Il fut recousu. Une jeune femme pour qui c'était une première. Elle s'en expliqua et lui fut marqué par cette douceur, cette volonté sincère de prévenir

"Vous êtes ma première suture

"je suis votre cas pratique hein.... Prenez soin de cette jambe, Ces deux là ont encore besoin de leur vieux papa, ajouta-t-il mollement en désignant les occupants des 2 sacs isothermes qui semblaient observer, inquiètes, la scène opératoire.

Puis Papounet fut, dehors, quelque part, sur les rebords du canal Saint-martin. Les lettres du Jemmapes l'aveuglaient. Il dut ôter ses lunettes, les nettoyer comme il pouvait à l'aide de son vieux tee shirt troué, celui qu'il utilisait pour dormir.

Il sourit, heureux d'avoir inventé la promenade de ses poissons rouges. C'était un pionnier en matière. Les chiens, les chats, tout ça c'était de l'histoire ancienne. L'avenir était aux poissons rouges. C'est ce qu'il leur murmura 

" L'avenir vous appartient les filles

En libérant Zélie et Elsa de leur petits cachots de plastique. Elle hésitèrent quelques instants à la surface cherchant qui sait, son regard, pour le remercier ou s'assurer que tout irait bien. Il les rassura d'un geste fragile de la main gauche avec le pouce levé.       

Il ne se rappelait pas comment tout s'était enchaîné ni depuis combien de temps il était penché sur son reflet dans le canal. Il se souviendrait toujours en revanche de l'apparition à ses côtés dans le reflet de cette jeune femme. De sa voix douce.

"Vous leur avez rendu leur liberté ?  

En se retournant, il avait acquiescé en reconnaissant la jeune femme qui l'avait recousu quelques heures plus tôt.        

"Je suis content que vous soyez là. Qu'est-ce qu'on fait ?

 "Qu'est ce qui vous fait envie ?

" je connais une bonne pizzeria ouverte toute la nuit? J'y allais plus jeune...

" Allons-y !

La suite leur appartint.

Il reprit le fil de sa vie au retour de sa femme et de ses deux petits hommes deux semaines plus tard et ne fut plus jamais le même.



    


dimanche 21 novembre 2021

Le bombardier de Bonamoussadi


Mon histoire commence de façon étrange. Par un vide, une absence, un néant, une occultation d'amour. D'amour maternel. Parfois, vous savez, mieux vaut ne pas avoir connu sa mère pour pouvoir se construire. Avoir connu sa mère qui n'en fut pas une vous oblige à vous reconstruire malgré elle. Cela vous étouffe d'un mille feuilles de difficultés dont chacun se serait volontiers passé. il vous faudra être tenace, patient, déterminé, méticuleux, pour avancer même à contre-courant, sans s'épuiser, sans renoncer. Une odyssée, une aventure dont on sort libéré , changé pour toujours, parfois un demi siècle plus tard. C'est mon cas, j'ai mis 45 ans à comprendre, à me libérer du passé.

J'ai longtemps vécu avec la conviction que je ne valais rien.  J'ai longtemps feint de ne pas savoir que je ne valais rien tout en le sachant. User de paraître en société pour donner l'illusion de l'assurance quand celle-ci n'est qu'un masque triste et sans joie. Persuadé à l'époque que même la lumière pouvait me traverser. Au point d'en collectionner des casquettes pour me repérer même en plein jour dans le reflet saturé des vitrines. Jusqu'à faire de ma voix ce son caverneux s'échappant d'une canalisation bouchée. Toute cette période allant de ma plus tendre jeunesse qui au fond ne se résumait qu'à cet adjectif... tendre.... malléable... tendre... Façonnable..  jusqu'à mes 20 ans ont été une longue phase d'observation pour attendre... attendre... le bon moment, celui qui me permettrait pour mon salut de déguerpir. Le beau-père qui ne m'aimait guère, mon "géniteur", comme ça que ma mère l'appelait, s'étant évanoui dans la nature avant même qu'on ait le temps d'avoir des photos de nous trois réunis... Un désastre annoncé. Je ne compte plus les fugues vers le bois de Meudon, les évasions. avortées à la tombée du jour,  les coups en retour, la chique ravalée, l'impatience et la compréhension muette ou source de la nécessité pour moi de couper les ponts filiaux pour m'en sortir. Couper les ponts, s'entailler les poings, se briser les phalanges, et trouver refuge sous des ponts. La boucle est bouclée.

J'ai commencé comme ça, sous le pont de Sèvres. J'étais jeune, j'étais con. A cet âge, avec un peu d'éducation, vous passez pour un original, un rebelle, un philosophe, un idéologue peut-être, Toujours est-il que de squat en squat, vous êtes accueillis, vous faites l'expérience d'une solidarité pas feinte.  Evidemment vous écrémez les lieux où des gens aisés vous donnent de l'argent pour se donner LA bonne conscience, où d'autres assouvissent leur rêve de coloniser les esprits les plus démunis, les plus en proie. Des gourous improvisés, trouvant là une matière rêvée pour donner libre corps à ses fantasmes de domination quels qu'en soient le prétexte, le masque de bienséance : révolution sanglante, dynamitage d'un système dont ils sont pourtant les plus vils exemples. C'est bien à la tête d'une multinationale du dessous, des sans abris, des plus fragiles, dans l'incapacité de se défendre par eux-même, qu'ils rendent possible leur utopie dévastatrice.

J'ai détesté découvrir que sous couvert de solidarité d'entraide, on pouvait se heurter à autant d'intolérance,  de haine assumée, d'embrigadement des esprits par les liens d'une doctrine sur le papier libératrice. Seulement sur le papier.  J'ai rapidement vu des volontés individuelles pour lever des armées d'en bas. Land of the dead, quoi d'autre ! Il faut pour cela endoctriner, zombifier, mettre au pas...

Dans un tel contexte, vous n'avez pas fui l'anti-mère pour vous coltiner la même aliénation sous d'autres empires. Quitter son obscurité pour s'envelopper dans la prochaine... Et un jour vous comprenez qu'on a peur d'entrer dans la lumière parce qu'on se regarde trop... Que le manque de confiance en soi est une excroissance de l'égo. C'est par l'affirmation de l'absence de son amour propre que notre extension est toute focalisée sur soi-même. Tout le travail devient celui de s'épaissir au monde en affinant son trait au point de pouvoir l'oublier. Plus le trait devient invisible, imperceptible, plus l'on existe. C'est tout le paradoxe.

Ainsi vais-je un jour, fort de cette intuition, décider de quitter ces squats, ces foyers, ces ponts rassurants, ces lieux sans lumière pour marcher, me déplacer seul, tout seul dans l'espace infini et sans limites de ma vie. Je commence par comprendre que n'avoir rien, ne rien posséder, c'est déjà exister, être léger, prêt au départ, n'importe quand. N'importe où. Être un roseau pensant, nomade. Il suffit d'un point de départ. Quand tu bois ton premier verre, l'objectif est le suivant, jamais le dernier... Boire c'est défier le taureau, c'est sentir jusqu'où tu trompes la mort et dans quel état tu finis. Au fond. Rester à moitié plein, tout le temps. le défi est là. "Le dernier pour la route", c'est un mensonge inventé par les peureux, les matérialistes, les comptables d'une vie au rabais. L'alcool et la Corrida. C'est un même combat.  

On n'a jamais vu un coffre-fort suivre un cercueil. 

D'une certaine façon, mon exclusion de la société est a présent oubliée, pleinement digérée, assumée, elle obéit à une trajectoire de libération, de révélation, le processus sans effort du papillon s'extrayant de sa gaine de vie, de son cocon, de ses contentions.

Je suis au monde, je n'ai plus ni couleur, ni cordon, j'ai cet objet, une pièce de 100 francs CFA, ma boussole. Trouvée dans un vieux baise-en-ville que j'ai également conservé. un seul mot d'ordre : l'évaporation au grand air de l'Ego : voilà qui redonne ses couleurs à l'homme ses valeurs son courage le sens de sa vie. Voilà ce qui va s'imposer naturellement à moi vers la lumière de laquelle je m'habillerai pour exister pleinement, en me sachant elle, en la sachant moi. Une évaporation nécessairement opérative au grand jour. Les murs sont des impossibilités, le foyer n'est naturel que le temps de la fertilisation des sols, que le temps des cerises et des moissons, que le temps des naissances. Une fois la récolte achevée, pourquoi ne pas s'en repartir ? Se ré-enraciner ailleurs. Plus les racines se multiplient plus le tronc de vos vies est solide et souple, vivant et offert aux 4 vents. Multidirectionnel.

J'ai décidé de ne rentrer dans aucune case. Je vis dehors et je me déplace. J'ai un but. Je suis un sans abri fixe, mes abris sont multiples, mobiles. Je suis un apprenant, un apprenti qui apprend tout de tout et de tout le monde. Je suis un émerveillé, je m'émerveille. Je mets merveille à toutes mes pensées. Je refuse une vie d'expertise, de sédimentation, d'accumulation, je sais d'intuition que l'accumulation engendre la gravité, que le seuil critique de cette dernière déforme l'espace temps, engendre, intime, le trou noir qui absorbe tout, d'où même la lumière ne s'échappe plus. Le sentiment de perte à l'idée de la fin de nos vies terrestres. j'expire toute idée d'expertise. "ex perte", je laisse les pertes aux devanciers, aux consommés, je laisse les fins à ceux qui veulent se rassurer. La question n'a jamais été le dernier verre mais le prochain et ma capacité à m'y rendre sans faillir. Sans quitter la table.

On n'a jamais vu un coffre-fort suivre un cercueil.

C'est une phrase qui revient souvent, je ne sais plus où j'e l'ai entendue. J'ai commencé une marche, dormant dans les bois, dans les forêts. Le périple commence au mois d'avril. Et je descends et je descends. et je ressens les sons et les odeurs de Dame Nature partout où je vais je me fonds et je m'incline et je m'absorbe et j'existe à nouveau. Sous la protection des cieux, des jours et des nuits s'enlaçant, sans cesser, je ne suis plus transparent. Je suis. J'essuie de la manche ce qui m'empêchait de me voir. D'aimer voir que je suis ce que tout est. Là est le secret. A chaque jour une renaissance, à chaque nuit une redécouverte, à chaque instant une communion.

L'on apprend à se repérer avec la complicité du ciel, l'on y reconnaît par effet de miroir les chemins où s'appesantissent les végétaux, où passent les animaux, où paissent les colères les moins avouables, où le moindre courant d'air vous coupe le souffle, vous retient contre vous-même, où le plus petit pied d'arbre se laissant dévorer du regard vous désigne le sud par son exposition la plus mousseuse.

J'étais obèse, frappé de maladies articulaires, des maux de vieux. Voilà que mon physique par l'exigence que lui imposait la marche tranquille se requinquait. Visiblement.

J'étais plus léger, je suis alerte, je fus libre et dormirai à la belle étoile, je laisse en toutes circonstances les moustiques se régaler de mon sang. Je leur murmure sans cesse d'une voix inaudible : ceci mes gaillards est mon sang. Me comprenaient-ils ? Ils peuvent s'en régaler autant qu'ils le souhaitent. Ma circulation est bien meilleure. Mes varices ? De vieux souvenirs, mes chers souvenirs. Il exultait mon corps. Il se requinquait visiblement. Mon espagnol s'améliorait à la même vitesse, au moins pour les rudiments qui permettent un approfondissement des relations avec Autrui. Se comprendre sur l'essentiel. Je fis ponctuellement des plonges, des vendanges lorsque c'était possible et lorsqu'on voulut bien de moi. Mes mains devenaient rugueuses et brûlantes. Le temps des cerises en la mimant rejoua l'éternelle séparation. D'avec l'été, d'avec la jeunesse, d'avec l'être aimé, d'avec mon encombrant passé. Cuite, hauts le coeur, vertiges, corps enlacés, exultation d'êtres grisés par la saison des amours. Le brame et le bois qui s'entrechoquent dans un champ de maïs bien mûrs. Le chant des champs caressés par l'impétueux vent d'Ouest.

Puis je traversai Santa Maria Del Berrocal comme une ombre. Pélerinage respectueux sur le lieu de naissance de Mamie Geneviève. La mère de mon grand-père maternel. J'avas retenu qu'elle y était restée très peu de temps avant de passer sa jeunesse en Argentine puis au Pays Basque à son retour lorsqu'elle avait eu 18 ans. Elle riait, elle aimait rire, mais elle était dure. C'est ce que j'en avais retenu. Drôle et dure. Drôlement dure. Grand sourire, mais carnassier, la dent sèche. Elle avait révélé pour ses 107 ans, la recette de sa longévité : 5 minutes de fou rire par jour, sans rien dévoiler de ses secrets d'alcôve pour le reste de la journée. Rien que du caillou, j'en étais sûr. J'avais senti qu'il en fallait de l'ego et de l'esprit de vengeance pour vivre longtemps, pour voir loin. Pour se projeter jusqu'au désert, jusqu'à ce qu'on ait enterré Dieu et ses semblables. Je me fis l'effet dans cette ville fantôme hantée par les chiens de l'enfer, leurs hurlements à la mort dès que vous longiez la clôture, que vous approchiez leur propriété, leur "chez eux",  d'être à nouveau exclu de la société. Leur société. J'étais le séparé du tout, j'étais l'essentialisé par le sort que l'on réserve au dormeur dehors claudiquant le temps d'un pèlerinage nocturne sur les traces idéalisées d'une Mamie Geneviève que je n'ai rendez-vous compte même pas connu.

Je me fis la promesse de descendre jusqu'à l'endroit où cette pièce de 100 Fcfa me servirait à quelque chose. Pour redonner du sens à cette propriété, à la charge que l'on porte sur mes épaules, dans mes poches déformées, trouées. A quoi m'aurait servi cette pièce entre Santa Maria Del Berrocal et la Catalogne ? 

Une halte à Albox et ses maisons troglodytes. Révérence à toutes les arrières arrières grands-mères dont je pressentis que certaines, maternelles dans l'âme, avaient pu sans ciller se laisser mourir de faim pour laisser vivre leurs descendances. L'endroit était trop aride, trop inhospitalier, pas palmeraie qui vive, pour qu'on y put vivre des générations se succédant, rebondis et gavés.

Le chemin se poursuivit, les âmes charitables se révélèrent à mesure que ma silhouette s'était affinée. je n'étais plus abandonné, rejeté, j'étais l'original qu'on veut admirer, qu'on envie, dont on rêve d'être lui, sans attaches, sans chaînes, sans souffrance, décalcifié du contingent.  Je compris alors que la peur est mauvaise conseillère. Qu'il faut faire malgré elle. Ne pas s'empêcher. Si un beau jour, par une pluie battante, votre parapluie est pulvérisé dans la bourrasque, sachez que vous trouverez toujours un endroit sec où vous abriter. Pas de quoi s'anesthésier.

Je possède à présent le corps qui plaît à mon coeur de sportif (message reçu très tôt du médecin de famille). Ma silhouette s'est affinée, mes muscles se sont dessinés, je respire mieux et transpirer devient mon labeur quotidien. Une fin en soi.

J'entretiens désormais avec les arbres un dialogue constant. Les toucher, les contempler me donne à comprendre le chemin que je poursuis. Sensation de redescendre depuis l'extrémité d'une branche pour regagner les racines de l'arbre majestueux. La source immanente. Toujours située en deça, invisible pour l'oeil, à l'abri des mauvais coups du destin. Certains évoquent le grand dessein et montrent le ciel du doigt. Tout est pourtant là, sous nos pieds. Les arbres nous enseignent cette vérité.  Il suffit d'observer, de vraiment regarder, d'ouvrir les yeux pour comprendre et ne plus avoir peur.  

Je ne sens plus mon poids et j'avance sereinement dans un corps aussi alerte que les pensées qui l'habitent.

La route des Oliviers, l'odeur y est si particulière, m'alerte sur le changement de climat et la proximité du détroit de Gibraltar. J'ai appris à y presser l'olive. J'ai travaillé dans les champs. Mon physique est robuste, mon corps est fiable.

Envoyez la musique.

Au départ, j'oubliais le chemin entre 2 étapes. Puis le chemin est devenu l'étape, une étape qui durait, les souvenirs s'ancrant dans chaque pas, chaque odeur, chaque tableau, chaque sensation de vent sur le visage. 

J'ai traversé mes vies, mille vies que je raconterai un jour, jusqu'à arriver à Douala par la route.

Curieusement, je n'étais plus le vagabond céleste, j'étais devenu le "blanc". Je compris que les 100 Fcfa ne me serviraient à rien, je les ai toujours, symboliquement. Je compris que ma couleur de peau était soudain, une chance, une garantie, un passeport pour retrouver une place, une position sur l'échiquier social de cette capitale économique. Je trouvai à m'inviter dans des réunions consulaires, des conciliabules à l'ambassade. Je trouvai moyen de me loger sans donner de garanties, d'emprunter sur la foi de ma promesse, de m'acheter une réputation à force de fréquenter ces petits milieux favorisés, de m'inventer une vie enviable, suffisamment mystérieuse pour qu'elle donne envie aux nantis, Camerounais "de la haute", expatriés, de tromper l'ennui et de fuir leur train-train en écoutant ce que mes aventures vraies ou fantasmées avaient à leur yeux de merveilleux.

Je présentais bien. J'avais les regards attendris des femmes d'expatrié qui aimaient en moi ce côté "sans attache" pas prévisible. Les hommes appréciaient ma gouaille, mon humour cassant -je dis ce que je pense, je l'ai toujours fait -, mon côté rebelle.

Les français de l'étranger firent de moi leur mascotte. Leur fierté. Je devins sans effort conseiller consulaire. Je touchai mon pécule pour la première fois. Aidant, ironie du sort, des compatriotes français livrés à eux-mêmes, à retrouver de la dignité, une écoute, un cadre de vie (beaucoup de ces hommes avaient suivi des femmes rencontrée sur le net avant d'être plumés comme des poulets de batterie et drogués, laissés pour morts).

On me prêta une maison coloniale à l'abandon que je retapai. Je devenais habile de mes mains. J'avais alors pignon sur rue. tout pour être apaisé. J'avais même rencontré la femme de mes rêves, la vétérinaire qui avait pris soin de soigner puis d'accompagner Goliath (mon fidèle compagnon des derniers 3000 kilomètres avant Douala) vers sa dernière demeure, derrière la maison. Elle me donna deux merveilleux enfants, nous vivions heureux en ce coin de paradis aux alentours du rond point Hôtel de l'air.  

Mais il manquait toujours quelque chose à ma vie. Et je ne savais pas encore quoi.

Puis un soir de déambulations qui me rappelaient probablement mes vies d'avant, d'échappées douces, d'égarements inspirés, j'ai rencontré Titus, vieux passionné, ex combattant de MMA, entraîneur d'un petit club de boxe de Bonapriso pas loin de la maison. Je me promène et m'arrête devant, hypnotisé par le son étouffé des gants dans un sac. Titus est là. On sympathise. J'ai commencé peu de temps après. Je l'entends me dire, me répéter "tu as le punch, le rythme, le style, le jeu de jambe". Je lui explique les milliers de kilomètres parcourus, les coups de poings rageurs plus jeune dans les murs sous les ponts, sur mes joues rougies. La quête ininterrompue pour arracher une réponse à des questions dont j'ignorais encore tout. 

Je me suis donc lancé dans la Boxe Anglaise sur le tard. Grâce à Titus qui m'a découvert ce talent. J'ai appris à retenir les coups et ne pas me laisser retenir dans les cordes. Et j'ai le punch. Cadeau du ciel. Ma foudre à moi. C'est ma force.

Le monde du sport a récemment réhabilité ses anciennes gloires. Le niveau serait devenu trop faiblard. Et tout est devenu bon pour faire du fric.

Etant patiemment devenu crédible à 45 ans sonnés pour disputer ce genre de combat de vétéran, j'apparais soudain comme un OVNI. Je suis blanc, vieux, je vais combattre sous les couleurs du Cameroun. De quoi attirer les marqueteurs du monde entier. Téléphonie mobile, brasseries, tout y passe tout y veut passer. Mon image épongée jusqu'au négatif. Rentabilisée. Epuisée.

Je suis prêt. Je me sens fort. Indestructible. A Bonamoussadi, on m'a vite appelé le Bombardier.

Le Bombardier de Bonamoussadi. 

Je me souviens de tout. A l'heure des hymnes.

La raison pour laquelle j'ai fait tout ça.

C'est que je m'en cogne. J'ai percé à jour le fond de ma mélancolie, la raison profonde de cette marche du bout du monde. Je suis guéri. Tout ce temps, il me fallait retrouver comme le lièvre trop pressé parce qu'orphelin de sa petite maison sur le dos, ma maison rêvée ou plutôt celui qui l'incarne le mieux sans jamais avoir pris le temps de m'en confier les clés avant de prendre congé.

L'espoir qu'il est vivant, qu'il verra ce combat, qu'on fera bientôt connaissance.

Et je sais que ce coup de projecteur sur ma petite personne aura l'effet espéré. Malgré les écueils et la prison médiatique bien réelle qui inévitablement prendra forme.

Je suis ce que tout est. De l'un avec le tout.

La pièce de 100 Fcfa est là Bien au chaud, tout au fonds du gant recouvrant ma main gauche.

Je n'ai jamais connu mon père.

N'est-ce pas le combat de toute une vie ?

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