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vendredi 14 mai 2021

La goutte d'eau qui fit déborder la mouche (d'émotion)


Une grosse mouche noire aimait plus que tout au monde l'odeur de la mer, de ses embruns sans vraiment savoir pourquoi.

Une irrésistible attirance mêlée d'une peur irraisonnée. De s'y noyer peut être.

Quelle idée pensèrent les autres mouches probablement trop terriennes de vouloir s'oublier sur les rivages, de passer un temps infini sur des plages de sable fin battues par des vents iodés ? Une mouche n'était à sa place qu'au coeur de l'arrière pays, à tournoyer dans l'air chaud, immobile et sec d'une saison de récolte entre bottes de foin et pâturages odorants.

La grosse mouche noire éprise d'océan n'en avait cure.

Elle avait pris ses cliques et ses claques et reposé ses ailes dans ce petit coin de paradis de sable noir qui lui parlait, sur une plage de la ville de Limbé, quelque part sur une ligne courant de l'île de Malabo jusqu'au Mont Cameroun, le bien nommé Char des Dieux.

Elle y passait ses journées, la pupille dilatée, l'aile au repos, à lancer des regards gourmands vers le large en plein accord avec elle-même, nonchalamment posée sur cette langue sombre entre océan et une rivière d'eau douce, fraîche et revigorante qui traversait le Seme Beach Club.

Elle cherchait encore le moment propice pour faire son premier bain de mer. Se jeter à l'eau comme on dit. Sans savoir évidemment quel en serait le prix mais tout en pressentant qu'elle ne serait plus la même après. 

Elle attendait un signe, le déclic. Comme ce surfer à quelques dizaines de mètres du rivage qui guettait calmement la vague qui le ramènerait sur la terre ferme.

Mais cet état contemplatif, béat, l'avait empêché de noter que chaque jour au point de marée haute la vague la plus aventureuse de tout le littoral venait mourir au même endroit. A ses pattes pour ainsi dire. Comme une supplication. 

Une petite gouttelette, véritable proue du vaste océan parut soulagée d'avoir enfin toute son attention et s'en expliqua de sa petite voix mignonnette et étranglée :

"Bonjour Madame la Mouche, cela fait des jours que je vous fais signe. Mais vous étiez bien trop occupée à rêvasser. Je désespérais de ne jamais pouvoir exister un jour dans votre regard. J'ai besoin de vous.

Madame la Mouche fut flattée de l'intérêt que lui portait ce minuscule brin d'océan têtu et déterminé à revenir à chaque nouvelle marée haute venir toujours plus près d'elle afin de lui demander de l'aide. Elle opina, curieuse d'écouter ce que la minuscule goutte avait à lui dire.  

"Toutes mes soeurs les gouttes d'eau de mer m'encouragent depuis toujours à réaliser mon rêve.

"Quel est ce rêve, petite goutte d'eau de mer ? Je t'écoute, murmura la Mouche attendrie de déceler quelque chose de familier dans les désirs secrets qui animaient la petite gouttelette, sentiment renforcé par le reflet d'elle même que lui renvoyait cette dernière.

"Je rêve de rejoindre ce ruisseau que je devine, là-bas, derrière vous. j'ai toujours rêvé de changer de lit. J'ai toujours rêvé de lagune, c'est ma nature profonde. Tous les efforts conjugués de toutes mes soeurs ont été jusqu'à présent vains. Et j'ai senti en vous voyant alanguie, rêveuse, sur le rivage que nous avions un bout de chemin à faire ensemble. Une intuition.

"Une goutte d'eau de mer qui rêve de quitter l'océan, qui veut rejoindre la rivière d'eau pure et claire, se dit Madame la Mouche. Quelle merveilleuse idée !

"Vous rêvez donc d'eau douce Madame la Goutte ?

" je suis curieuse de nature et j'aspire à la douceur, c'est vrai, depuis toujours. 

Les deux improbables complices de circonstances s'étaient parfaitement trouvées. Madame la Mouche allait pouvoir faire l'expérience de l'eau de mer sans courir le moindre risque. Elle était en confiance. Elle prit délicatement sur ses ailes la petite gouttelette juste avant que la vague la plus forte du point de marée le plus haut ne redescende, ne recule pour de bon. Et chacune deviendrait ce qu'elle avait rêvé de devenir.

La gouttelette d'eau de mer salua ses soeurs les gouttes d'eau de mer qui la regardèrent quitter le lit familial non sans émotion. Elle put grâce à Madame la Mouche rejoindre le cours d'eau tranquille et frais, déposée qu'elle fut, délicatement, comme un pétale de rosée, depuis ses ailes rassurantes pour se diluer tout à fait dans sa passion, dans ce qui la faisait profondément vibrer depuis toujours.

Dès que la gouttelette disparut en remerciant, comblée, son alliée madame la Mouche, cette dernière se sentit à son tour métamorphosée, débordant d'une émotion nouvelle et folle. L'effet de l'eau salée en humectant sa face toute noire et tout lui revint. C'était le goût amer de la larme qu'avait versé sur elle une maman croyant alors avoir perdu son bébé à la naissance et qui l'avait abandonnée sans se retourner. Le sel maternel avait eu pour effet de faire repartir son petit coeur tout mou.

Tout lui revint et Madame la Mouche se sentit libérée d'un poids. Depuis, elle a ses habitudes et fait chaque matin son petit bain de mer pour entretenir ce souvenir et retrouver la sensation même infiniment petite de cet amour maternel qui lui donne la force de continuer.

 


jeudi 13 mai 2021

Le roi des fesses

Stephen Oliveri était un phénomène. Surtout pour cette incroyable malchance qui le suivait partout, comme son ombre.

Tout avait commencé en sortant du ventre de sa mère. La légende - ce qu'il nous en avait rapporté - voulait qu'elle ne s'était pas sentie désireuse, prête ou capable de l'élever comme son enfant. Stéphane avait donc grandi sous la bienveillante égide de la Direction des Affaire Sanitaires et Sociales, accueilli rapidement par une famille qui l'entoura de tout l'amour dont il avait besoin pour s'épanouir en grandissant.

Mais pendant longtemps, pour Stephen, la chance aura été ce fruit inaccessible sur l'arbre à la bonne saison. Il avait beau sauter, s'échiner, l'objet de ses convoitises se refusait obstinément à lui. 

A l'internat, on l'appelait SOS. Pour plein de raisons.

Bien sûr l'adolescence est un âge ingrat. Il était arrivé à Marcel Roby en cours d'année. On se fait facilement remarquer dans une situation pareille. L'effet grossissant d'une petite communauté observant à la loupe le nouveau venu. 

SOS n'avait d'ailleurs pas un physique facile : une peau grasse généreuse avec le point noir qui s'y délectait entre deux boutons d'acné. Ajoutez un nez en patate soutenant des lunettes épaisses à double foyer (il était ouvertement myope). Et puis il y avait ses cheveux ternes, sans volume, qui épousaient la forme aplatie de son crâne, sue laquelle on aurait pu faire tenir un verre à pied. Pour couronner le tout, ses lèvres épaisses et constamment humides laissait s'échappper une mauvaise haleine. On ne lui parlait jamais de trop près.

Un matin, il avait été à l'origine d'un immense fou rire :  Au réveil, ses paupières avaient refusé de retomber sur ses yeux qui exprimaient une angoisse, s'embuaient, les muscles de son visage étaient tétanisés. On sentait la souffrance mais lui hurlait intérieurement cherchant de l'aide, un soutien, quand personne autour ne pouvait retenir ses larmes de rire. Tout était revenu dans l'ordre après qu'il se soit longuement aspergé le visage à la salle d'eau collective. Mais il avait attiré l'attention sur lui et pas pour les meilleures raisons.  

Quand on suscite autant de railleries, le harcèlement n'est jamais très loin. Lors du traditionnel bizutage pour accueillir les nouveaux venus, il fut le plus chahuté, tout habillé sous la douche glacée, savonné, en pleine nuit sous les salves extatiques de "SOS pétomane SOS pétomane SOS pétomane !

Cest que le pire dans tout cela lui venait d'une tare congénitale dont il avait hérité au niveau digestif. Un rétrécissement probable du colon jusqu'au sphincter qui le faisait péter de façon particulièrement bruyante. C'est surtout la nuit qu'on l'entendait claironner distinctement des fesses.

Les autre internes avaient également compris qu'en lui faisant peur, en le faisant sursauter, il ne pouvait empêcher les gaz qui lui encombraient l'intestin de se libérer dans un boucan de tous les diables.

Longtemps il le vécut terriblement mal. Mais un beau jour, SOS comprit que cette tare était en réalité une chance. Une aubaine.

Tout démarra lors d'un soir en ville, quelques années plus tard. Un simple malentendu lui mit la puce à l'oreille. Son voisin de table dans un minuscule restaurant japonais de la rue Pradier où l'on s'entassait les uns sur les autres, s'était brutalement retourné vers lui - au moment précis où SOS venait de se soulager, pensait-il discrètement - et au terme d'un suspense insoutenable avait interrogé 

"Ah oui je me régale, c'est délicieux, et vous c'était comment ?"

SOS avait alors compris qu'il avait un don. Que ses fesses étaient un cadeau du ciel. Le sphincter était ce muscle qu'il maîtrisait mieux que personne. Il savait moduler les sons qu'il produisait lorsque les gaz prenaient congé de sa personne. Il pouvait en régler l'intensité, la tonalité. Et comme tout don, il devait le travailler. 

Il se mit à écouter la BO de Rocky et fit ce qu'il fallait pour que son complexe devienne un talent unique au monde. Il découvrit notamment qu'il chantait juste du postérieur, qu'il avait si l'on veut l'oreille absolue. Rapidement il put reprendre des refrains de morceaux célèbres, il en fit des quizz, fut repéré dans un petit théâtre de quartier du 19e. Il alla plus loin. Il pouvait parler avec son derrière. Il devint chanteur, puis ventriloque. Et même imitateur.

Il se produit aujourd'hui sur les scènes du monde entier. On l'appelle affectueusement "Le roi des fesses"

Aux dernières nouvelles, il aurait même réussi à se faire comprendre de certains animaux et établir le contact avec les perruches, les Terriers airedales et même les grenouilles Goliath.

Un postérieur magique !

mardi 11 mai 2021

Examen et défiance

Florent a toujours su camoufler. Il avance à reculons, à pas comptés, vers les marqueurs forts de son insigne faiblesse que sont les concours, les examens qui les matérialisent, certain qu'il s'y enlisera le premier, étranger à toute confiance, il sait alors mieux que personne se saboter, se regarder par au-dessus, s'enfoncer la tête dans la fange, jusqu'au sommet du crâne, sans l'aide de personne, lesté de ses odieuses croyances, les laissant s'épanouir tout au fonds de ses tréfonds intimes. Il sent bien venir le moment fatidique où chacun l'aura démasqué et d'un souffle tranquille l'aura éparpillé.

Heureusement, le cerveau sait en certaines extrémités, accoucher de vertueux subterfuges, de saines contorsions, pour sauver ce qui peut l'être. Il vous en fait faire alors des choses. Florent se met à noircir des feuilles et des feuilles de brouillon. Il les classe de manière minutieuse par matière. Pour chaque matière plusieurs couleurs (il a noté comme les feuilles de brouillons mises à disposition des étudiants au moment du concours étaient de diverses couleurs, un arc-en-ciel). Il utilise la pointe ultra-fine d'un criterium et charge toutes ces feuilles d'un savoir immense qu'il sait être sa béquille. Il travaille le geste, répété le mouvement, l'assouplit. Une solution par sujet, par thème, des sous-groupes thématiques, d'antisèches aux allures de rubriques d'une encyclopédie souterraine, un royaume invisible. Il répète l'exercice, encore et encore, encore et toujours, y muscle son jeu jusqu'à bâtir de ses propres mains, ériger un empire de contrefaçons, de pansements de l'âme, prêts à surgir pour faire mouche le jour J. Un chef d'oeuvre d'organisation millimétrée, Des codex Maya à portée de main, d'humain, intraduisibles pour le commun des mortels, pour quiconque ne vit pas à l'intérieur de soi. Ou plus exactement de lui.

Le jour de l'examen arrive et une forme de miracle se produit. Florent, les idées suffisamment claires, la tête assez dure pour accueillir les règles du jeu sans toutefois les dévoyer, sans jamais les trahir, fait le grand saut, lâche la rampe et comprend qu'il ne craint rien du regard des autres, de ses supposés censeurs. Mieux, qu'il est armé pour se défendre. Plus besoin de béquille. Parce qu'il a traversé son désert, qu'il s'est doté de moyens pharaoniques pour contourner un dogme injuste (se confronter aux autres quand on se pense inférieur), de le refuser, de s'ouvrir un nouveau chemin jusqu'à l'ultime seconde. Il décide de laisser les feuilles s'arranger avec l'obscurité de son cartable. Et de ce lent processus de maturation qui n'était là que pour le rassurer, de ce rêve bâti pour conjurer un sort scellé depuis l'origine pour le soustraire au regard des autres, est née la créativité la plus entière parce que nécessaire, l'innovation la plus pure parce que désespérée, la magie la plus puissante parce que de ce monde, autant de déclics profonds qui ont fait de lui l'artisan de ces révisions fabuleuses, l'inventeur obsessionnel de la méthode ultime pour rénover ce monde en contournant ses contraintes, les codes inhérents à la vie dite normale, le germe de sa vie future.

Voilà ce qu'il en retient : échafaudons des plans comme si notre vie en dépendait, creusons l'idée jusqu'à ce qu'il ne reste rien autour, fourbissons nos armes selon nos propres règles quitte à les abandonner en dernier ressort. Ces petites notes compulsives constituaient un écrit sain, sa religion, intime, le manuel de survie pour arpenter un chemin qui ne mène jamais qu'à soi-même.   

La disparition mystèrieuse de Mascotto Biscoto

La mascotte de la Coupe du Monde 2038 au Maroc a disparu. Qui sont les responsables ? Qui a commis cet acte ignoble ? Où est-elle passée ? L...