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lundi 28 décembre 2020

Le jeu de la tartine grillée

Josy est économe de ses mots, elle observe en souffrance. Tout semble fragile, à l'intérieur et ne jamais vouloir en sortir. Raison pour laquelle Josy ne mange pas, ne mange rien. Déjà trop de choses coincées dedans, de noeuds gordiens, pour accueillir quoi que ce soit de nouveau. De nourrissant. Elle est anorexique comme on dit. Elle se nourrit sans le savoir de cette douleur muette, enfouie. Au grand désarroi de son père qui cherche la parade. Mais la cherche en vain. 

Un matin, il revient dans la cuisine après avoir préparé la tenue de Josy et constate que la tartine et sa fine couche de beurre fondu ont disparu. Ne reste près du bol que quelques miettes qui le mettent en joie. Il interroge, encore fébrile : "tu l'as mangé ma chérie ?". Fièrement, Josy acquiesce. Il est tout guilleret en la déposant à l'école. Josy est rayonnante, probablement heureuse de voir son papa si heureux.

Mais en rentrant ce matin-là, après avoir fait la vaisselle, nettoyé la plan de travail dans la cuisine silencieuse, papa retrouve la tartine, soigneusement cachée derrière la boîte de céréales. Sa conscience tranquille se fissure silencieusement.

Il pourrait mal le prendre, il pourrait mal le vivre, comme une défaite, pire, un affront, mais son tempérament prend le dessus, un sourire lumineux s'imprime sur son visage. Il vient de comprendre quelque chose : que pour sauver sa fille, il devra redevenir l'enfant qu'il a été lui aussi. Un compagnon de jeu bienveillant.

Le lendemain matin, il instaure une règle pour égayer leurs routines matinales. Papa fait griller une tartine, la beurre et Josy a le devoir de la cacher dans la cuisine pendant que lui va dans le salon pour compter jusqu'à 20. S'il la retrouve avant l'heure d'aller à l'école, il la dévore goulûment - malgré les conseils du médecin de famille l'encourageant à limiter les matières grasses. 

A chaque matin, un nouvel exploit. Papa la retrouve à temps et Josy adore ce défi stimulant. Il gagne de jour en jour en célérité pendant qu'elle redouble d'imagination pour trouver des cachettes toujours plus sophistiquées. Mais papa est décidément trop fort.

Voilà qu'un matin, elle trouve enfin l'idée fulgurante, se laisse traverser par le projet fou qui lui permettra de gagner enfin une partie contre ce papa plein de ressources... Elle a alors ce geste irrationnel, sans retour, qui lui offrira elle en est sûre la victoire à tout jamais.

Josy cache délicatement la tartine... dans son ventre. Et c'est que ça lui plaît dis donc.

Miam de faim, euh... Miam de fin.


   

 

samedi 19 décembre 2020

A nos brebis égarées

Tout s'est déréglé comme ça. De façon invisible.

Parce que soudain l'ordre des choses fut rejeté par la majorité des brebis.

Les Pyrénées étaient devenu ce Pays étrange où le droit de chacun au bonheur avait désormais une égale importance, où la loi de l'un prévalait. Le nombre s'était étrangement exprimé pour ériger la liberté individuelle en valeur cardinale, pour émanciper (par la valorisation de chaque trajectoire individuelle de vie) le groupe des servitudes d'antan.

Cela débuta par l'abolition de l'exploitation mercantile. Longtemps les brebis avaient été protégées par des bergers pas toujours tendres. Le souvenir des morsures vives au jarret, des aboiements têtus, des coups de griffe parfois, s'étaient ancré profondément dans l'inconscient collectif.. Honnie cette lâcheté des hommes déléguant à leur plus fidèle ami les basses besognes. C'était l'amour vache, on aimait le rôle protecteur de ces hommes bourrus qui connaissaient mieux qui personne la montagne, qui aimaient leur travail et leurs animaux, mais on ne supportait pas cette déférence, ce regard par au-dessus, ce racisme à peine voilé, on détestait les coups, la tonte, le fromage, les méchouis, les agneaux de lait... carnage, carnage, on refusa de continuer à subir ce qui ne semblait une chose normale qu'aux brebis planquées (les domestiques, les chouchoutées, les engraissées, les affublées d'un petit nom mignon). Alors on s'organisa pour faire valoir les droits de chacune à une vie au grand air. Liberté pour chaque brebis ! Le droit des animaux venait d'être reconnu, réglementé. Une aubaine pour les rats de tribunaux. De juteux combats à venir. On se pourvut en justice et l'on fit le bonheur et les poches pleines d'avocats jamais aussi pressés d'être en première ligne pour ces combats qu'il mène "la main sur le coeur" pour la postérité, leurs propres mots...

Les brebis obtinrent d'exclure les bergers et leurs humains excès de la montagne, de les renvoyer à leurs chères villes (qu'il connaissaient si peu). A coup d'ordonnances et de décisions de justice, tout fut mené tambour battant, un jeu d'enfant. Et l'on forma une catégorie de brebis, les plus râleuses, celles qui raffolaient de la castagne,  pour constituer une faction, sorte de garnison de "grandes soeurs", entraînée pour faire régner l'ordre, respecter les lois, en passant par le dialogue, la diplomatie avec toujours la menace de faire intervenir la justice. Après tout,  qu'est-ce qui pouvait empêcher une brebis, agneau de dieu, de faire le boulot d'un berger ? Pour le dire autrement, est-ce qu'un berger pouvait "dépasser" une brebis ? C'était le "bon mot" qui se répandait comme une traînée de poudre chez ces animaux à laine derrière un rire un peu pincé. La gentrification des esprits, que voulez-vous ?  

Chacun put ainsi vivre à nouveau en parfaite harmonie dans le plus grand respect de la nature, de soi et d'autrui. Plus de violence. Jamais. Du respect pour la planète et de l'amour, partout beaucoup d'amour. Et des lois et des juges pour en huiler les rouages ! On avait arraché sa liberté, les brebis étaient désormais maîtresses de leur destin.    

Mais tout ceci n'eut qu'un temps. La nature n'a-t-elle pas horreur du vide ? Personne n'imaginait qu'un jour ou l'autre le loup serait de retour dans les Pyrénées... Le loup n'était plus dans les légendes locales que le gentil animal tout mignon qui faisait des mamours à tout bout de champ et qui voulait des câlins. Pourtant le loup, le vrai, revint. Abasourdi, n'en croyant pas ses yeux, il courut ameuter tous ses compères de ripaille, leur contant l'invraisemblable repas de fête qui les attendait sans qu'ils ne courent étrangement le moindre risque. Les loups ne firent qu'un bouchée des brebis bergères et se régalèrent du reste du cheptel... Un repas gargantuesque.  Rien ne put s'opposer à leur frénésie,  ni les "beeeeeeeeh je vais porter plainte" ni les "beeeeeeeeh j'ai confiance en la justice" ni les "beeeeeeeeh Revenez Messieurs les Bergers, revenez..." sous le regard goguenard de loups hilares et rassasiés, décontenancés devant, je les cite, "tant de bisounourserie agglutinée".

dimanche 4 octobre 2020

Les Azalées


A la mort de son père, Côme a hérité des Azalées, une sacrée maison. Pas facile la demeure. Achetée par le paternel, Manex (prononcer Manech), qui nourrissait alors des ambitions dévorantes, qui avait des vues sur le monde possiblement égotiques. Chef d'entreprise diplômé de Polytechnique, Manex était promis à un grand destin grâce à l'amour débordant mis en lui par une mère le préférant visiblement à ses 4 frères, voilà qui l'avait programmé pour réussir, réussir, réussir et donner raison à sa maman d'avoir mis autant d'espoir en ce fils prodigue. C'est que 1) il ressemblait beaucoup à sa mère 2) il avait failli mourir à la naissance au coeur d'un hiver rigoureux. L'hiver 41.

La maison en impose, c'est une maison de Maître, qui ne souffre pas la critique bien sûr mais tellement peu pratique à exploiter : chaque pièce y est une pièce unique, chaque volet chaque fenêtre, du sur-mesure. Un projet à la démesure de son père. Impossible à aménager sans dénaturer le lieu. Pour Côme un véritable casse-tête.

Naturellement, son père ignorait que le fils se sentirait écrasé par la demeure, dans une souffrance à en assumer l'héritage. Est-ce que Belmondo, Delon, Chaplin, Roosevelt, Einstein ont pu imaginer que de ce qu'il s'octroyait de leur vivant leur serait retranché à travers leur progéniture ? Est-ce que notre descendance, notre prolongement, ce n'est pas aussi nous ? Sommes-nous plutôt ondes ou plutôt particules ? Et que nous enseigne le jazz à ce sujet ? Que nous ne ferions qu'ondoyer après tout.

Côme savait sans savoir le verbaliser que son papa vivait sous l'influence subtile et néfaste de la belle mère qui, psychologue de son état, ne résistait pas, c'est humain, au plaisir de la suggestion psychanalytique, déformation professionnelle, manipulation assumée dans les angles morts, autour des signaux faibles. Manex aura vécu les 7 dernières années de sa vie avec cette femme. Son humour longtemps potache avait même fini par tourner autour de remarques à Côme du genre de "Si tu continues, je vais te déshériter". Humour Lacanien ou Freudien ? Difficile à dire. Sauf que son épouse était de l"école Lacanienne. Probable que l'humour avait été livré avec le packaging, l'enveloppe, l'embrigadement idéologique. La projection sur les murs lavés du monde extérieur de préoccupations "essentiellement" matérielles chez la belle-mère qui avait simplement déteint sur le paternel. Quoi de plus naturel ?

Côme proposait des vacances en tête à tête avec papa Manex, et c'est papa pourtant à la retraite qui répondait gêné aux entournures, comme sous emprise : "j'attends les vacances de Maria-Teresa". C'est qu'il avait été anesthésié, incapable de vivre sa retraite comme il l'entendait, autrement qu'à travers une figure recomposée (les plats lyophilisés), sans amour, sans véritable sens, avec cette idée de l'homme et de la femme prenant ensemble, de concert, les décisions les plus enfantines : Qui descend les poubelles ? Qui fait la vaisselle ? Qui enfante ?  Qui met au monde ? Qui chasse ? Qui ramène à manger ? Toi et moi ? Toto et lolo. Tous enfants compris.

Côme est de ce fait fragile lorsqu'il hérite. Et pour ce que la maison représente et pour la relation empoisonnée qui s'annonce avec la belle-mère qui fuit ses responsabilités et ne participe en rien à l'entretien de la demeure. Il y reste seul, prisonnier de celle qui semble le scruter par au-dessus. A mesure que Les Azalées grandit dans son esprit pour mieux l'assommer, à mesure que les charges s'accumulent et les coups durs (fosse septique à rénover, termites à chasser, bois pourri à remplacer, fuites sur le toit, peinture extérieure à la fin de quelque chose, quelques arbres malades qui finissent par tomber chez le voisin, cambriolage aux premiers jours du printemps...), il comprend que de cette impossibilité cumulative naît sa capacité à faire face par le biais le plus simple, gai, vivant qui soit : l'écriture.

C'est qu'il a toujours aimé ça Côme. A 12 ans il écrivait. Mal mais il aimait ça, se réveiller avant les autres, déchirer le silence des mouvements gauches de ses doigts sur le clavier du Minitel. Depuis, il n'a eu de cesse d'écrire la grande oeuvre maladroitement. Tous les chemins frayés ont fini par mener aux Azalées. Le noeud gordien, Le centre de gravité... Des récits entremêlés de toutes époques, de toute saison où histoire familiale après histoire familiale, destin exemplaire contre destin funeste, il accouche sur des bouts de papier qu'il ne respecte jamais assez de ce récit protéiforme sous la forme de fables avortées, interrompues, inachevées mais aussi riches sur le plan narratif qu'instructives au final pour prend le temps de vraiment les lire.

Ces écrits connaîtront finalement le succès, ironie du sort, au moment où l'Etat s'apprêtait à raser la maison devenu château hanté de la belle aux bois dormant semblant vouloir s'effacer derrière un enchevêtrement sans fin de ronces, de pudeurs inavouées, d'interminables acacias. C'est ainsi que naîtra le culte de la bâtisse par des lecteurs du monde entier et la demeure retrouvera son lustre d'antan (celui dont rêvait son père lorsqu'il avait acheté "la plus belle maison du village") grâce à des mots, grâce à des feuilles, grâce à l'imprimerie ! Et grâce à la facétieuse imagination d'un créateur venu à la création par nécessité. A quelque chose malheur serait bon.

Le récit entrecoupé, laisserait entrevoir des trappes secrètes, des indices amènent à penser qu'encore aujourd'hui la maison Les Azalées abrite les secrets de la genèse de ses Contes du Moulin et de la Montagne, qu'elle est un casse-tête à elle toute seule, et que chacun génération après génération pourra venir tenter sa chance comme du temps révéré d'Arthur et de cette épée magique que tout un royaume voulut venir libérer de la pierre... transformant un sous-bois quelconque en centre du monde pour une infinité de rêveurs convaincus que le vagabondage de l'esprit dépassera toujours de loin les possibilités (pourtant parfois folles) qu'offre le réel.
                      

Mohamed


Begnat a été recruté dans cette société Parisienne du genre "startupiste". Il y est question de Video à la demande, un marché en plein boom. La dématérialisation des contenus, le 7ème art à la portée de tous. La passion démocratisée. Depuis ses intronisations silencieuses au 7ème Art dans les salles obscures du Marine et du Vauban de Bayonne, Begnat a toujours eu en tête de "rendre au cinéma", qui lui a tant donné : notamment la capacité à saisir l'instant présent, paradoxalement, la matérialisation d'un rêve, d'un élan pour avancer.

Begnat est parti de son Pays Basque natal pour suivre des études d'ingénieur dans la capitale. Qui pouvait le plus pouvait le moins. Pensée pas vaine de son instituteur de père. Une fois à Paris, boursier à Louis le Grand, il entendit plus d'un fois qu'il irait retourner élever ses brebis si les résultats ne s'amélioraient pas... Son accent le trahissait mais il l'a gommé avec le temps, son prénom, il a fini par le franciser. C'est désormais Bernard. En revanche son nom Mendiburu, il n'y peut rien. A part prononcer les U comme dans "Turlututu" ou "Dénaturer".

Bernard est doué pour les études, ce qui lui a permis de poursuivre un cursus enviable et d'obtenir son diplôme d'une grande école d'ingénieur. Aucune difficulté ne semble se refuser à lui. Malgré une carrière toute tracée. Mais il est du genre timide. Il n'ose pas dire ce qu'il pense. Probablement que cela vient de ses origines qu'on s'est évertué à soigneusement gommer, et cela vient aussi d'une tradition familiale, culturelle, filiale, où l'on doit "réussir" au risque d'être envoyé par bateau vers l'Amérique du Sud... Pour ceux qui sont restés, qui n'ont pas revu les frères, les oncles, les cousins, la famille exilée... C'est un peu comme si on les avait envoyé se noyer dans le vaste océan. Difficile après cela de trouver du plaisir de tout ce qu'on fera dans la vie, parce que tout prend une dimension impérieuse, tout devient une question de vie ou de mort, une affaire de devoir qui recèle beaucoup de danger. Longtemps Bernard a d'ailleurs été hanté par la vision de chatons qu'on emmaillote dans un linge de maison et qu'on offre en pâture au fleuve et ses eaux insatiables.

La peur est devenu son compagnon fidèle. Le cinéma l'exutoire qui l'en a délesté. A chaque film une évasion. La réalité prend la forme d'une épée de Damoclès, la vision de ce que pourrait déclencher la baisse de sa garde... Pour aller plus loin, il s'anesthésie tout seul en craignant de voir se réaliser les prophéties apocalyptiques que sa pensée enfante à l'idée d'affirmer ce qu'il est, ce qu'il pense... Ôter son armure en société, ça non, jamais ! Ce qui constitue un problème lorsque tu as les bonnes idées pour faire grandir une activité mais que tu m'oses pas les défendre de peur (irrationnelle) qu'on démasque par ton accent, par tes mimiques, par ta gestuelle, par le choix même de tes mots, par le fonds de ta pensée (est-il inséparable de ce que nous sommes, du bois dont nous sommes faits ?) ton extraction sociale, ton origine géographique, tes tares familiales, tes traits culturels, ce rapport incontrôlable à la peur ? Il n'est de fait pas libre de ses paroles ni de ses gestes. Il éprouve une gêne et pas de plaisir lorsqu'il est en réunion ou en compagnie (au bureau comme au restaurant d'entreprise) de ses collègues qu'ils soient en lien fonctionnel avec lui (au sein de son service commercial) ou hiérarchique (Comme on dit avec ses n+1 et n+2 et n+3...). toute cette sémantique vient d'ailleurs renforcer son côté "robotique" "exécutant" qui présente l'avantage de lui éviter la gamberge... 

Dans une entreprise comme en société, la décision revient au décideur toujours planqué au sommet de la pyramide, entouré d'une clique d'ambitieux, qui sont montés par capillarité sociale (même engence, même études mêmes ambitions mêmes codes, même couleur de pot, entendez pot d'échappement, qui propulse votre "fusée" à travers l'espace et le temps en obéissant à un socle de valeurs communes), la cohorte de courtisans qui sont venus pour des envies autour de strass et de paillettes, où l'on rêve des marches de Cannes puis du soleil de la Californie. Tout le monde en rêve, chacun a fourbi ses armes pour se construire le sens de cette histoire espérée. Bernard lui rêve depuis toujours de pellicule, d'argentique, et de dénicher des perles rares dans des entrepôts où dorment des vieux films en Noir et blanc. De ceux qui l'ont sauvé de la peur qui l'ont nourri au plaisir retrouvé.

Ses supérieurs scrutent le chiffre, les opportunités de faire grossir le chiffre. Lui ne comprend pas la démarche, rêverait de remettre du sens, retrouver les raisons pour lesquelles le cinéma l'a sauvé. Des rencontres fortuites d'où naîtra le miracle. Lui pense qu'il faut partir de l'émotion pour la transmettre et ne pas regarder ce qui plaît aux autres pour le copier. lais il se refuse à dire ce qu'il ressent et en souffre légitimement. Cela contribue à ce que le climat se tende avec sa hiérarchie (il résiste comme il peut, il est dur au mal).

Heureusement, il passe du temps le soir ou tôt le matin avec Mohamed. Mohamed fait le ménage, il est l'homme à faire beaucoup, silencieusement. Le dernier déménagement c'est lui. Bernard aime redevenir lui-même en sa compagnie. Il l'est pleinement. Car ni séduction, ni soumission entre ces deux là. Juste des discussions franches d'homme à homme.

Mohamed a très vite son oreille. les 2 s'entendent bien, partagent des idées sur la famille le travail etc. Bernard n'aime pas les strass et paillettes du milieu dont il découvre les aspects les moins ragoûtants. Il est là parce que le cinéma l'a sauvé.  Il se sent une dette encore lui. Il aime Ready Player One, Assurance sur la mort, Mulholland Drive ou The Shining pour leur générosité, les mises en abîme, les réflexions saines et sans fin qu'ils savent susciter chez lui comme spectateur. parce qu'il peut alors se les approprier, les faire siens. Ils deviennent des compagnons, matières à réfléchir, à penser par soi-même ! L'interprétation devenant la condition et la clé d'une émancipation fondamentale.

Avec Mohamed qui a gardé de son enfance et d'une mère grande rêveuse un vieux projecteur de cinéma. ils partagent cette passion qui les amènent quelquefois à découvrir des films (commandés au service technique où dorment les innombrables bobines de pépites qui ne demandent qu'à être découvertes, révélées au grand public)... Ils découvrent, débriefent. Un jour, au détour de la révélation que fut la projection d'un nouveau joyau méconnu du 7ème art, La Java du passé, ils rêvent ensemble de voir ce film édité par la société qui les emploie.

Evidemment, le plus simple serait de convaincre le grand patron. Ils évoquent cet homme mystérieux que personne n'a jamais vu et dont la légende rapporte qu'il aime cultiver le secret, qu'il vivrait entre Paris et les US. On évoque un autodidacte éclairé. Ayant commencé sur les puces, dans les brocantes à se faire la main avec de vieilles cassettes VHS. On le dit surdoué pour les affaires. La seule façon de le rencontrer pour les salariés de cette succursale consacrée à l'édition de films, ce sont des parties de First Person Shooter le soir. Le patron est alors présent sous le pseudo Edward M.A. Moon

Sur les conseils de Mohamed, Bernard se décide un matin et va proposer à sa hiérarchie ce fameux La Java du Passé pour l'édition mais sans succès. On lui fait comprendre que les films "à la façon de Melville" ça n'est plus à la mode...

Mêrme s'il est déçu, Bernard n'a pas le temps de gamberger ou de déprimer. Il reçoit une lettre sur son bureau. Il est convoqué par son n+1. Celui-ci lui explique qu'il a reçu une lettre de son propre n+1  lui demandant d'adresser cette lettre à Bernard en lui fixant rdv dans le bureau de ce dernier. Qui lui avoue avoir reçu le même courrier de n+3 de Bernard. C'est ainsi que de rendez-vous stérile en rendez-vous stérile, Bernard prend un avion pour Almeria. Tout lui semble mystérieux, mais il aime ce climat qui lui rappelle le caractère imprévisible de ces grands films qui l'ont vivifié.  

Il est pris en charge par un simple taxi qui l'emmène à Albox. Aux abords de maisons troglodytes.  Il est reçu le plus simplement du monde dans l'une de ses dernières par Edward M.A. Moon qui surgit de l'ombre.

Moon A. M.. Ed. Il reconnaît alors Mohamed qui lui avoue que le secret de son succès a toujours été d'aimer ce qu'il avait de plus cher, cette maison de pierre où sa mère est née, qu'il n'a fait qu'embellir par la suite. Il sait aussi que pour choisir les bons "équipiers", rien de mieux que de se fondre dans la masse de la société et d'observer depuis le statut le moins enviable, pour apprécier, voir qui se comporte bien, qui est empathique, qui est désintéressé, qui lave sa tasse à café après l'avoir bu, et surtout qui a les vraies bonnes idées. Or pour avoir les idées il faut être connecté à ce à quoi l'on travaille. Y être attaché corps et âme.

Mohamed lui explique avoir attendu d'observer la réaction de la hiérarchie de Bernard lorsqu'il avait proposé de faire découvrir la Java du Passé . Devant leur refus, il avait décidé de promouvoir discrètement Bernard et de lui révéler son secret. Désormais ils décideraient ensemble tout en restant anonymement quelconques dans l'organigramme de la société. Ce serait leur petit secret, ils feraient découvrir au plus grand nombre des films et des oeuvres qui ont été oubliées, qui contiennent à la fois des défauts bien sûr mais plus de cinéma que tout ce que la pensée normative et formatée édictée par les lois du marché et les revues spécialisées a voulu le croire et le laisser croire...

Mohamed termine par ces mots :

-"Begnat, permets-moi de t'appeler Begnat. Ce que j'aime chez toi ce sont tes qualités que je n'ai pas. Ce sont tes défauts que je n'ai pas davantage..."

Mohamed avait mis en application l'adage qui veut que "pour réussir il faut savoir s'entourer", identifier le talent unique qui me complète, qui m'apporte le supplément d'âme et la vision qui en découlera.  On vit dans un monde où le capitalisme veut démontrer l'interchangeabilité du travailleur, de l'homme pour mieux le ramollir. Il faut faire fi des diplômes, des hiérarchies, et retrouver cette pureté, retrouver la vraie "Cendrillon" singulière derrière le costume, derrière les apparences. La capacité à créer de la valeur  n'appartient qu'à l'éternel "apprenant", à l'apprenti refusant les titres, les enfermements, la gloire, le reconnaissance, la représentation, l'image, le spectacle, la prétendue "expertise" qui n'est au contraire qu'une calcification de la matière grise, le rai de lumière d'une étoile déjà morte.

vendredi 4 septembre 2020

Ramsuk Singh


Xavier a été en couple puis un jour il est parti. Elle voulait le faire rentrer dans une boîte, couper tout ce qui dépassait. Au contact d'une femme trop autoritaire qui re-crée le lien de sa conscience à son ventre, à son homme-enfant, son bébé à naître dans son couple, le mari infantilisé finit par marcher derrière sa femme dans la rue, mauvais signe, et se dessèche étrangement, finit par ressembler à un saucisson des Aldudes. Littéralement vampirisé par cette femme séchoir qui s'ignore peut-être, il commence à gamberger lorsqu'elle plante un à un les piquets de son projet de vie unilatéral, une tente pour abriter "son doublon", l'objet de ses désirs qu'elle va façonner à son image. Xavier a une vision, il voit comment le transfert affectif se fera manu militari de lui vers l'enfant, lui ne sera plus qu'un bibelot à dépoussiérer de temps en temps sur l'étagère du salon.

Lorsqu'enfin, elle évoque sans détour le projet de naissance, parle de tomber enceinte, organise leur vie comme l'acquisition d'un prochaine voiture - régime, cure de vitamines, timing pour les rapports sexuels (de préférence le mercredi soir), renforcement musculaire, séances d'étirement et de méditation pour favoriser la fertilité, il commence à vaciller, sa patience aussi... Mais il n'y voit pas encore assez clair pour agir. C'est justement l'époque où s'isolant sur une île grecque pendant les grandes vacances (conseil du gynéco encourageant le "changer de décor", le "réinventer le quotidien", le "chercher la bonne énergie", elle n'a plus que ce mot à la bouche), le couple fait la rencontre de leurs hôtes, un autre couple qui leur ressemble un peu avec une dizaine d'années de plus et 3 marmots en bas âge. Ils ont quitté Paris, persuadés que le secret du bonheur se trouvait quelque part dans les Cyclades, sans comprendre encore que ses problèmes on les traîne partout avec soi, tant qu'on n'a pas courageusement pris la sage décision de vivre avec. L'île s'appelle désavantageusement Siros et la consommation de Txipuro (alcool local qui monte vite à la tête) par le père de famille met la puce à l'oreille de Xavier. Mais c'est lorsque le père de famille accablé lui fait découvrir son hangar, son sanctuaire où il essaye de fabriquer tout seul un avion bi-place à moteur depuis plus de 10 ans que Xavier comprend... 

L'inconscient du type lui intime l'ordre de se barrer d'ici au plus vite. Il est Papillon et ce caillou c'est Alcatraz. Tout est limpide pour Xavier qui en tire un lumineux enseignement et reprend sa liberté au retour des vacances. Ah les intuitions masculines dont on ne parle jamais ... Elle se fendra lors d'un dernier tête-à-tête d'un "De toute façon j'aimais plus ton Energie". Et Xavier de lui répondre, tout en empathie et calme retrouvé "Je vais te faire un aveu, moi non plus". Sur la fin, ils avaient donc fini par se comprendre. Jamais trop tard.

Il est encore jeune (27 ans) Xavier et se sent sauvé après quelques mois de tâtonnements par l'amitié nouée avec une clique des joueurs du dimanche retrouvés chaque semaine sous le métro aérien. Ils sont réunis par la grâce d'un autre ballon qui peut rendre fou, aussi rond que la façon dont sa vie tourne : un ballon de basket. Pas d'autre heureux évènement que de tomber sous l'empire d'un jeu. D'une amitié sportive. Plus jeune il aimait follement le Basket, se réveillant la nuit pour voir les matches de NBA, le sentiment de vivre un rêve éveillé... Il s'en était éloigné en commençant une vie professionnelle peu excitante, puis en entamant cette relation amoureuse qui lui avait ouvert les yeux sur ce qui lui manquait ... Désormais il se consacre pleinement au Basket à ses heures. Il est devenu ce moine-soldat qui se donne sans compter, qui ne néglige aucun effort, allant au bout du bout de ses capacités, de sa fatigue. Donnant tout, tout le temps. Il ne mesure qu'1m73 ce petit meneur de jeu inspiré, mais il trouve les moyens de renverser, plier un match, saisir les opportunités, trouver les brèches dans la défense adverse, s'appuyant comme le demi de mêlée au Rugby sur les "gros et les grands devant" pour donner corps à ses visions, à ses intuitions de jeu. Un regard chirurgical et éclairé sur les immenses possibilités de ce jeu.

Et pour sa fougue, et pour son talent, il est finalement repéré par un club de 3ème division et y traverse brillamment 3 saisons faisant l'admiration des supporteurs, du club et de ses coéquipiers, étonnés de voir autant de capacité révélées sur le tard par un physique se prêtant peu à ce sport. Il est même "drafté" par un club plus cossu de 2ème division dans une petite ville à flanc de montagne. C'est ainsi qu'il quitte la grande ville pour la petite au pied des Alpes. 

Mais pour Xavier, rien d'impossible... Ni mettre fin à une relation alors qu'elle est sur le point d'aboutir sur une célébration, une naissance, ni commencer une carrière sportive alors qu'on ne miserait pas un kopeck sur lui. Sa force mentale est telle en certaines extrémités qu'il se sent absolument libre et sans contraintes lorsqu'il le décide. Même si son corps semble lui imposer un autre chemin, davantage d'humilité. Il perce à son niveau mais va rapidement faire l'expérience des clubs sans passion, des patrons de clubs venus pour la gloire, l'oseille, les sponsors, les pom-pom girls, l'apparence...  Il est alors pris de ce curieux sentiment que quelque chose ne tourne pas très rond. 

Et lors d'une fameuse nuit dont il se souvient comme si c'était hier, il fait un rêve lucide qui lui ouvre les yeux. Il court sur un fil tendu au dessus de l'océan. Un ballon de Basket gigantesque y glisse derrière lui, va bientôt le faucher, l'écrabouiller, l'expulser de ce chemin céleste tracé dans les nuées. Alors que le ballon accélère sa course et grossit à vue d'oeil, Xavier évalue les centaines de mètres qui le séparent de la surface de l'océan, où des prédateurs semblent attendre le moindre faux geste de sa part. Il se jette et se réveille alors, fiévreux, trempé. Il y voit un signe. La passion pour le ballon, oui, mais la concurrence, le business autour, l'argent misé sur le cheval qu'il est en train de devenir, ah ça non ! Il arrête tout sans transiger, sans exiger quoi que ce soit, sans autre explication que pour lui-même, en paix avec sa conscience.

Intuitivement, il quitte à la petite ville pour le village, après avoir quitté la grande.

Il rejoint alors une petite communauté vivant en auto-suffisance dans la Creuse. On y plante, on y cultive, on s'auto-suffit. Mais certains veulent lancer leur marque, un business autour du commerce de proximité avec des produits sains, issus de la terre et d'une agriculture paraît-il responsable.

Lui est jusqu'au-boutiste. Il ne veut plus transiger, il veut la pureté des intentions, et la mettre en accord avec ses actes de vie.

Dans. cette communauté, il y a Chan que chacun appelle Chan'Man. Il a ce côté Chaman, parce qu'il parle lentement que que son regard semble embrasser simplement le monde dans sa complexité, dans sa totalité.  Xavier découvre à travers lui le Yoga Sivananda mais en bon Moine-Soldat qu'il a toujours été, il veut aller encore plus loin, trouvant que Chan'Man use trop de son aura pour fertiliser les esprits autour de lui. Dont celui de Xavier qui a pourtant l'intention de pousser l'expérience de ré-ensauvagement jusqu'au bout de ses possibilités.

Il s'absorbe dans un Ashram de la région du Mans. Il s'y consacre corps et âme, sans toucher de salaire (l'argent vécu comme une corruption de l'âme) pendant que l'Ashram vit sereinement du phénomène en vogue qu'est devenu le Yoga. Il gagne en souplesse ce qu'il perd en musculature.

Il contribue à la notoriété du centre qui voit ses profits grimper grâce son implication désintéressée, sans faille.

Lui ne voit plus rien que le sentiment d'avoir été dans une épure du désintéressement au service d'une déconnexion croissante le ramenant toujours plus vers la nature.

Son père, dépité, persuadé que son fils est sous la coupe d'un mouvement sectaire, vient lui rendre visite persuadé que son fils s'est auto-aliéné sans vraiment s'en rendre compte. Et lui raconte une histoire qu'il tient de son propre papa. Une histoire d'armoire et de saut dans le vide pour un petit enfant que le père exhorte à sauter en lui disant "fais moi confiance, je suis ton père". L'enfant saute et s'ouvre le crâne contre l'angle du lit. Plus de peur que de mal. Le père lui dit alors "retiens cette leçon pour plus tard". Ne faire confiance à personne , même pas ton père. Ne fais confiance qu'à toi-même et à tes intuitions profondes". Mais Xavier par réflexe ne se reconnait pas dans cette histoire. Sa relation compliquée à son père lui fait dire que ve dernier cherche par tout moyen à l'éloigner de son bonheur...

En désespoir de cause, le père tente le tout pour le tout. Il a eu vent d'un ami d'enfance (le parrain de son f ils) que son chien venait d'avoir des petits. Il propose donc à Xavier de l'accompagner pour aller chercher un compagnon et le ramener à l'Ashram en espérant secrètement que ce voyage à deux ou que la vision d'un être tout mignon redonneront à son fils un élan vital pour comprendre qu'il est bien sous influence. Xavier accompagne son père. Ils reviennent ensemble avec le chiot. Mais aucun miracle ne se produit. Pire, lorsqu'ils le présentent aux membres de la communauté, tous viennent s'agenouiller autour et devant le chiot, en une procession étrange, ésotérique,  ne calculant pas le père qui sent que tout est perdu. L'Ashram lui trouve même un nom à ce chiot : RAMSUK SINGH.

Mais voilà. L'histoire ne s'arrête pas là. Ramsuk Singh s'est avéré tellement agité, agressif (sa nature profonde peut-être ?) que les équipes de l'Ashram ont dû sévir et décidé pour le bien de tous et pour le bon déroulement de leurs activités, de le mettre en cage pendant les heures de cours et d'initiation. En cage ? Il n'en fallait pas plus pour que Xavier comprenne enfin qu'il serait plus libre ailleurs.

L'intuition masculine, une fois de plus !

Xavier a depuis regagné la grande ville, y a reconquis son amour de jeunesse, parce qu'à l'époque ce n'était pas le moment tout simplement, il rejoue au Basket mais pour le plaisir avec ses 2 enfants qu'ils ont adopté sur le tard, parce qu'ils l'ont vraiment décidé ensemble. Il apprécie toujours le Yoga bien utile de temps en temps pour assouplir ce qui peut encore l'être sur sa vieille carcasse. Xavier est là, il se bat, il écoute ses intuitions et pas un jour ne passe sans qu'il ne remercie la têtutesse de son père lorsqu'il s 'était ainsi évertué à lui rouvrir les yeux. On peut reprocher beaucoup de choses à un père mais pas son opiniâtreté à ne jamais cesser de vouloir aider ses enfants. 

dimanche 9 août 2020

Le visiteur de 4H48


J'avais 16 ans. Des années plus tard, le rêve comme le réveil dans mon souvenir, ont le même éclat, la même noirceur lumineuse, cette sensation qu'ils eurent lieu l'un puis l'autre il y a seulement quelques heures. Je leur garde la familiarité de ces retrouvailles si particulières avec ces amis, rares, perdus de vue et qui vous donnent le sentiment qu'on les a quitté la veille.

Cette fameuse nuit, je suis expulsé d'un mauvais rêve, à la faveur d'un stratagème ingénieux. S'y joue ce que d'aucuns appellent un rêve lucide, j'ai mené ma petite enquête. Je me retourne donc pour la première fois dans le rêve histoire de faire face à mon poursuivant... Il est à mes trousses depuis des lustres me semble-t-il et mes gestes lents, gourds m'empêchent de prendre une avance décisive dans la course effrénée qui se joue sur un balcon étroit, tout en longueur, au 10ème étage d'un immeuble de Banlieue Ouest. La mer d'un bleu calme et profond menace calmement partout autour, d'autres immeubles dont le sommet vacille, léchés par la surface de l'océan à perte de vue, semblent sur le point d'être engloutis. Nous sommes tous les 2 perchés, aveuglés, sur ce sommet, un îlot des survivants au milieu de nulle part. Ecrasés de tout ce bleu. La créature me dévisage à présent, elle est toute proche. Je peux sentir son haleine fétide lorsque je lui dis mes yeux plongés dans les siens quelle a globuleux et rapprochés en l'absence de nez et de grâce pour dire la vérité :

- je sais parfaitement que je rêve et ce rêve, c'est le mien vous voyez, il n'est que le fruit de mon imagination, alors écoutez, je vais fermer les yeux là maintenant et me réveiller dans la foulée et nous n'en parlerons plus !

La chose a essayé de dire quelque chose... Rien de bien intelligible et c'est alors précisément que j'ai rouvert les yeux.

Il est 4h48. L'appartement est plongé dans l'obscurité, Vélizy dort et j'entends au loin quelques véhicules  filer dans la nuit profonde, je devine leurs conducteurs rêvant d'une cuisine faiblement éclairée, d'un morceau de quelque chose à se mettre sous la dent avant de rejoindre leurs draps chauds et de se glisser contre leur moitié, pleins et lourds, le ventre et la tête vides à part égale, avec une irrépressible envie de s'abandonner.

La douleur est encore vive malgré les points de suture. Les chairs de l'avant-bras sont à vif et je suis le seul à savoir que j'espérais secrètement qu'arrive le pire quand c'est arrivé. Sur un malentendu, ça peut régler pas mal de souffrances. Au départ il n'y a qu'une dispute un peu quelconque à l'internat, pendant l'heure d'étude, mais le prétexte est rêvé, le réflexe fatal. J'avais de rage frappé du poing dans la baie vitrée de la salle d'études, voilà tout.

Je rejoins la salle de bains. Je me souviens que l'appartement est vide (où sont alors mes parents ? je ne saurais le dire). Le vent souffle dehors, c'est l'automne, des feuilles volent entre les immeubles impeccablement ordonnés les uns par rapport aux autres. Pas de lumière à la fenêtre d'Elke, ma voisine exhibitionniste. Je n'ai pas pris le soin d'allumer quoi que ce soit, encore trop confus, le regard perdu quelque part sur le sol, du carrelage froid, à essayer de me rappeler (comme ces personnes frappée d'Alzheimer et qui luttent pour faire reculer la maladie en récitant à voix haute les numéros de téléphone de leur femme, de leurs enfants...) ce que mon agressseur avait essayé de me dire.

Je regarde quelque part entre mes deux pieds qui battent une mesure inaudible j'y vois cette forme minuscule, immobile mais qui semble être inerte à dessein. C'est mon ressenti. Elle n'a point l'intention de me révéler sa présence. Cette forme ne me rappelle rien de connu. Trop petit pour être un cafard, trop gros pour une fourmi. C'est une ombre. Peut-être n'est-ce qu'un bout de quelque chose qui se serait extrait avec moi de mon sommeil ? Je me demande alors ce que signifiait ce mauvais rêve puis je m'interroge : les objets inanimés ont-ils une âme ? Cette forme immobile ne serait-elle pas ici et maintenant sous mon nez pour me signifier de ne jamais me fier aux apparences ?  La lumière (un lampadaire) qui vient jusqu'à moi faiblement par la lucarne entrouverte de la salle de bain est la seule source fiable, diffuse, qui peut faciliter mon jugement. La fenêtre résiste au vent qui vient de s'engouffrer avec appétit par les béances qui l'encadrent lorsque mon regard revient sur la chose qui se déplace enfin, semble voler. je ne saurai jamais. Etait-ce le fait de sa volonté ou du courant d'air venu de la rue. J'ai rallumé la lumière, ratissé l'appartement. Rien.

Je garde néanmoins cette étrange impression que l'entité qui me fit face dans mon rêve était la même que celle, minuscule, qui me scruta depuis le carrelage froid. Je fus pris de cette conviction un peu folle que le visiteur de 4h48 comme le poursuivant dans mon rêve étaient un même spectateur ému, maladroit et désireux de me voir de plus près. De toucher du doigt son idole, de le ressentir, de le humer, de le dévorer d'un oeil ou même deux. De lui remonter le moral surtout... C'est une intuition furtive, l'espace d'un flash, j'ai acquis la certitude (qui ne m'a jamais quitté depuis) que chaque nuit nos rêves n'ont pas d'autres fonctions que de divertir la masse intergalactique d'extraterrestres cinéphiles, d'être projetés dans des salles obscures aux 4 coins de la galaxie pour ces spectateurs curieux et avides du prochain chef d'oeuvre sortie de nos cerveaux engourdis. Ce truc était un fan absolu venu m'expliquer qu'il avait encore besoin de ma présence au monde, que moi en vie, c'était des milliards de fans aux confins de la voie lactée qui ressentaient du bonheur. Il fallait leur en donner.

Je finis par me convaincre que Porrapossa (c'est le seul son que j'avais retenu de ce qu'il avait essayé de me dire au sommet du dernier immeuble dépassant de l'immensité aveuglante et bleutée juste avant que je ne prenne congé) avait préféré transgresser avec courage une loi cosmique réputée inviolable pour se réincarner dans cette bestiole qui n'avait évidemment rien de désirable et devait probablement vivre dans les canalisations suintantes de Vélizy, cette ville nouvelle, cité champignon des rebords de Paris. Et si j'avais pu susciter un tel désir de venir à ma rencontre, c'était que je devais avoir quelques qualités qui m'échappaient encore totalement. C'est ainsi que j'ai lentement mais sûrement pu reconstruire un peu d'amour propre et de confiance en moi.

C'est pourquoi je profite de ce témoignage pour lui dire ceci : où que tu sois,  petit visiteur de 04h48 cette nuit-là, laisse-moi te dire merci car je ne fus plus jamais le même après. Et chaque fois que je m'endors depuis, je sais que mes rêves qui vous tiennent lieu de blockbusters dans les salles obscures de vos mondes lointains y sont attendus, espérés comme le prochain James Bond. Arrivederci mon cher fan. Nous nous retrouverons tôt ou tard. J'en fais le serment. Foi de Porrapossa.             

Liem Ndjara


Il était étrange Yves.
Il nourrissait son trou.
Chacun se moquait de lui. La fratrie et le voisinage.
Mais Yves n'en avait cure, il remplissait son trou. Une cavité qu'il avait creusée, jour après jour au fond d'un ravin. Un terrain dont il avait hérité, en pente, inexploitable d'après les experts, où dormaient des arbres paisibles, centenaires, abritant un petit sous-bois vert et mousseux.  C'est là tout au fond qu'il avait trouvé un énorme caillou dans son esprit le sommet d'une montagne du dessous, invisible. Patiemment année après année, il y avait creusé sans se presser un abri rocheux, frais, humide. Son accès vers l'en-delà. Et cela le comblait de joie.

Il était issu d'une famille aisée de l'aristocratie Camerounaise. Ses parents avait érigé une Chapelle sur leur concession, vaste et verdoyante. San fin pouvait-on déduire de ces champs et forêts s'étendant à perte de vue de tout côté dont chacun répétait comme le fou assommé par la chaleur de midi "Ca leur appartient" "Ca leur appartient" "C'est toujours aux Sick" "Leur propriété semblait ne jamais finir. Chacun était très croyant dans sa famille comme dans le village qui s'était construit pour ainsi dire autour de la chapelle et du patriarche (qu'on appelait "le père Sick"). Il avait été maire de son village puis ministre de la République puis de nouveau maire (à vie) lorsque l'âge avait repris ses droits.

Et puis un jour, la guigne fut venue, le père de famille perdit pied, fut retrouvé inerte "dans de beaux draps"  probablement en compagnie d'une jeune fille trop jeune.

Il fallut cacher la chose malgré la rumeur qui enflait déjà dans le village puis partout dans le pays. Le ver était dans le fruit. On précipita les funérailles pour éviter le scandale et chacun des enfants, également rongés d'ambition, eut tout juste le temps de se mettre en ordre de bataille pour capter le plus gros de l'héritage.

On laissa Yves à son trou, son rocher, ses lubies "d'enfant de la retraite". Sa mère était morte en couche et l'avait eu très tard (40 ans passés) pour faire plaisir au "chef de famille" qui, superstitieux, se voyait probablement garder une insolente jeunesse à travers cette énième paternité.
       
Pendant ce temps, la fratrie se déchira, s'annihila, s'affaiblit, on se ressouda brièvement face aux enfants illégitimes venus réclamer leur part puis la discorde reprit de plus belle. On s'étripa, on se répartit les plus belles parties du royaume. On construisit, on étendit, on coupa des arbres qui avait mis des siècles à pousser, on se compara les uns aux autres en essayant d'être plus beau, plus grand, plus raffiné... Les parcelles devinrent stériles, la terre abîmée par ce qu'on avait voulu y mettre pour accélérer leur rendement, booster les profits qu'on pouvait en espérer.

L'un des enfants illégitimes, une jeune femme exclue du partage, devint redoutable en affaires. Aussi belle et désirable qu'elle était sans pitié, faisant de cette blessure l'étincelle d'une vie, animée par une soif de vengeance contre cette famille qui l'avait refusée. Elle se fit appeler LIEM NDJARA. COmme on disait : "Elle allait faire mal. Dans tous les sens du terme. Sublime et dangereuse.

Elle épousa un pantin, héritier d'une coquette fortune de notables d'un village voisin, et dans le plus grand secret mena son projet de destruction... Lentement mais sûrement, pendant que les héritiers en face annulaient leurs forces au lieu de les conjuguer, s'épuisaient dans d'interminables joutes où l'argent filaient dans les poches d'avocat véreux prêts à tout pour se nourrir sur la bête, elle construisit son petit empire avec le secret dessein de semer le chaos dans le camp d'en face.  

Comme souvent, les grands réussites sont monstruosités nées de sentiments obsessionnels mal dirigés... Pendant que la famille Sick s'affaissait lentement, LIEM émergeait, grandissait, fourbissait ses armes, rachetait une à une toutes les parcelles. Officiellement elle était cette femme qui avait tout pour elle, intelligente, drôle, autodidacte, indépendante, redoutable en affaires, venue disait-on de grand Est Africain.. Elle figurait désormais parmi les 10 plus grandes fortunes du continent.

Les enfants Sick, trop douillets, ayant côtoyé de trop près les divertissements royaux de ce bas monde, les grande écoles européennes, les bonnes manières qui vous ôtent toute lucidité lorsque l'heure de la guerre a sonné, furent un à un retourné, détroussé, mis à nu, jeté à la rue.

Lorsqu'ils comprirent, il était trop tard. Lien finit par leur expliquer à chacun les raisons profondes de leur déchéance qu'elle n'avait fait qu'accélérer.

Le jour vint où elle put enfin savourer sa vengeance, au dernier étage de la tour la plus haute du continent qu'elle avait fait ériger à l'endroit exact où feu "Père Sick" avait bâti sa rutilante maison familiale devenue plus tard la mairie du village. En rasant tout, sa victoire était totale. Éclatante.

Mais rapidement, quelque chose n'alla pas... Elle se sentait étrangement triste et consulta le vieux guérisseur, Maboura. Lui voyait clair. La quête de Liem ne serait achevée que lorsqu'elle aurait chassé Yves après lui avoir racheté son bout de rien. Il avait beau être marginal, il n'en était pas moins un Sick et le dernier rejeton de la famille..

Elle partit à sa rencontre en misant sur sa cupidité. Elle lui proposa une somme faramineuse pour quitter l'endroit. Mais il refusa. Elle était agacée de constater qu'il était joyeux et positif, tout le temps.

Elle passa la vitesse supérieure et fit déverser les ordures de toute la sous-région dans le trou d'Yves pour l'empuantir et forcer son occupant au départ. Mais rien n'y fit. L'odeur était pour peu dans la plénitude que ressentait Yves a cet endroit.
 
Elle eut alors l'idée de jouer la carte de la foi et envoya un prêtre le convaincre de prier les dieux du ciel, de se tourner vers l'église. Vénérer une idole du dessous ? Quelle idée ! C'est vers les cieux qu'il devait tourner son regard, chercher la présence du tout-puissant quelle qu'eut été sa forme, son visage ; le firmament était un lieu décent, conçu pour les Dieux. Propre, ouvert aux 4 vents, une porte vers les étoiles. Mais Yves resta sourd à ces appels.

Elle chargea une agence de communication de salir la réputation d'Yves, l'accusant publiquement d'hérésie, de connivence avec les forces du mal, d'être à l'origine des moindres malheurs de la communauté. elle aurait voulu que la foule s'empare du problème et le chasse mais personne ne lui en voulait et personne ne crut aux rumeurs qu'on faisait courir sur un homme qui restait étonnamment joyeux, respectueux des autres et focalisé sur sa routine mystique (nourrir quotidiennement son jardin secret, sa grotte) sans jamais déranger quiconque.

LIEM eut alors des idées de meurtre et fit offrir des mets infectés qu'Yves, naïf, accepta de bon coeur. Il tomba gravement malade mais fut sauvé par les piqures inlassablement répétées d'abeilles voisines qui décédèrent ensuite. LIEM comprit que même les abeilles se sacrifiaient pour Yves. Il avait avec lui la protection des insectes et des animaux, prompts à intervenir au premier danger.

Alors LIEM fit envoyer des tueurs une nuit mais il ne trouvèrent point l'accès de son abri et furent en outre chassés du lieu par une nuée de chauve-souris.

Folle de rage, LIEM décida pour finir de faire empoisonner l'eau du petit ruisseau qui descendait vers la demeure d'Yves. Mais l'eau était aussi l'eau qui rejoignait les rivières et les puits de la région. les sols furent contaminés, la végétation mourut, les habitants furent frappés de maladies, tous durent quitter les lieux. Mais Yves était toujours là, aimant, debout. Indéboulonnable.

Le mal s'était abattu partout autour affectant les hommes, les cultures qui étaient venues à disparaître. La fin d'un monde était proche. LIEM resta seule au sommet de son empire, reine sans sujets, reine sans esclaves, reine sans titre, dominant la pierre et la ruine.. Elle pleura longtemps, réalisant qu'il n'y avait plus qu'elle et Yves sur cette terre dépeuplée.

Elle décida donc un matin d'aller s'aventurer dans cette fosse à purin où longtemps l'on avait jeté ses déchets, ses peaux de bananes, ses saletés pour faire fuir Yves. Il ouvrit une porte dérobée dans la roche et aussi les bras. Elle s'effondra, émue de trouver enfin l'amour fraternel qu'elle avait cherché tout ce temps sans le savoir. Il ne lui en voulait pas le moins du monde. C'est qu'il avait bon coeur Yves.
     
Liem découvrit émerveillée cette grotte au fond de laquelle Yves avait déposé des offrandes au pied d'une idole qui n'était qu'un petit objet de métal en forme de clou tordu et rouillé. Il tenait ce souvenir de sa maman, son seul souvenir, que lui avait remis ses frères à sa mort (ces derniers avaient gardé l'or, l'argent, les titres). Yves avait consacré sa vie à cette maman qu'il n'avait jamais connu en installant dans cet abri rocheux un autel à sa mémoire. 

Et ce faisant, il y avait patiemment accumulé conserves, lecture, jeux de société, bouteilles d'eau minérale vides, jetées, qu'il avait patiemment remplies d'eau de source d'avant l'empoisonnement des sols et de cette dernière, de quoi subsister quelques vies sans l'aide de personne. Son obstination à honorer le souvenir de sa mère fut tel qu'à présent il y avait de quoi accueillir LIEM NDJARA et toutes celles et tous ceux qui les rejoindraient bientôt pour vivre heureux, loin des affres de l'Ego jusqu'à la fin des temps.

samedi 8 août 2020

L'homme qui, un jour, murmura à l'oreille de ses cheveux


Raymond, un homme dont chacun louait la beauté lorsqu'il avait 16 ans, faisait l'objet d'une admiration toute particulière pour sa crinière de feu au volume royal, créature presque vivante, aux mouvements naturels qui inspiraient autour de lui un amour sans réserves. En conséquence de quoi il choisit d'en faire le métier d'une vie et devint Coiffeur-Visagiste, Une passion nourrie de ce qu'il avait de si beau sur le sommet du crâne.

Il commença son activité en créant le 11 décembre 1973 un petit salon sur la place de l'église de son village sur les bords de l'Adour. L'ancien garage de la maison familiale fut transformé pour l'occasion. Il y connut ses grandes heures, y eut d'illustres clients : chaque été, Roland Barthes et toute l'année sa maman, occasionnellement les Frères Gomez, architectes reconnus de la région mais aussi François-Maurice Roganeau, peintre et prix de Rome dans la fraîcheur du XXème siècle. Même Pierre Benoît, auteur célèbre de l'Atlantide, était venu se faire coiffer entre deux voyages vers le lointain. Plus récemment, on comptait Jacques Martin ou les propriétaires cossus du Château de Montpellier sur Adour à Saint Laurent de Gosse. Ce fut l'âge d'or du petit salon de Raymond dont l'enseigne indiquait avec modestie "Salon de Coiffure".

Le temps fila, le village s'agrandit, devint banlieue périphérique puis dortoire de Bayonne, d'Anglet, de Biarritz où les loyers étaient devenus hors de prix, où l'on ne trouvait plus à se loger. Les us et coutumes avaient également changé, le fleuriste, le Guyenne et Gascogne, le point presse, l'Auto-école, le pressing, tout avait fermé, remplacés par le tout en un, le centre commercial couteau suisse visant par le trafic et le remplissage de son parking à ciel ouvert à rentabiliser son investissement en attirant le gros des bourses de tous les foyers du village.

Raymond dut s'adapter, il se serra la ceinture mais conserva le noyau dur de sa clientèle historique, et put continuer à vivre, même chichement de son activité. Mais la vie fit son oeuvre et ses clients d'avant, les plus fidèles, il ne les croisa plus qu'au cimetière ou au détour d'une conversation avec des survivants de cette époque où le village était village, où l'on y venait pour ce qu'il était, pas pour chercher un jardin ou des loyers plus abordables. Rapidement les nouveaux habitants rattrapés par l'atavisme et la nostalgie de la ville plus grande retournèrent se faire coiffer dans les "grands salons" de Bayonne, Anglet ou Biarritz, dans les chaînes naissantes, les franchises cavaleuses... Raymond en fit naturellement les frais.

Une maison de retraite ainsi qu'un foyer de jeunes en difficulté virent le jour en lieu et place de fermes abandonnées après l'exode rural des familles "historiques" du coin ou simplement suite à une discorde au sein d'une fratrie à l'heure fatidique de se partager l'héritage.

Poussé par la nécessité, Raymond dut se convertir à la voiture qu'il acheta d'occasion (une Volvo 464 automatique gris métallisé) dans le garage du gentil Sangla sur la montée qui reliait la voie ferrée au centre du village, juste en face du pont qui faisait se rejoindre les Landes et le Pays Basque. Il passa son permis, s'acheta le nécessaire portatif, plus léger, et son Salon de Coiffure devint un Mobil Home Urtois, le service à domicile ! Il fallait bien continuer à vivre de sa passion. Mais il refusa coûte que coûte de vendre et de laisser à d'autres son salon. C'était son petit sanctuaire dont il n'entendait se débarrasser pour rien au monde. Sur ce point, il serait intraitable ! On avait beau lui répéter qu'un cheval à l'écurie ne servait à rien, que ce salon ne produisait plus rien et n'avait donc pas d'intérêt à rester ainsi, vide, poussiéreux, et figé dans un passé révolu, il resta ferme, imperturbable. Il avait fait le choix de cette passion, de ce métier, de ce salon qui avait pris toute la place, n'en avait laissé aucune même pour quelqu'un avec qui partager sa vie. Tout était là.

Un beau jour, un de ces merveilleux jours lumineux où rien ne peut vous arriver de grave, sur l'un de ces trajets qu'il connaissait par coeur, pour aller à la rencontre d'un client qui habitait les bords de l'Ardanavy, il eut cette inattention fatale entraînant la sortie de route qui le laissa sans voiture et pire : paraplégique.

Il ne se souvenait de rien à son réveil. Sauf qu'il était de nouveau chez lui, une infirmière aux petits soins venant chaque jour pour l'aider à domicile. Ohiana. Elle venait le lundi et le mercredi. le massait, drainait son corps meurtri et faisait aussi la vaisselle et un peu de ménage. Ils avaient drôlement sympathisé et les photos de ses deux enfants qu'elle élevait seule trônaient déjà sous des magnets sur le frigo de Raymond : Sara et Romeo. 

Une vie d'invalidité commença avec ce qu'il vient toujours de difficultés, d'isolement, de déprime. Lui qui était si entouré, si enjoué, si délicat, si attentionné, si autonome, si digne, si fier, il était désormais seul, incapable et immobile. Heureusement il y avait Ohiana qui essayait, faisait ce qu'elle pouvait pour le distraire, lui rendre le sourire. Raymond avait déjà près de 75 ans.

Et comme si cela n'avait pas suffi, il vit avec horreur au début de l'automne son cheveu devenir terne, fin, cassant, son crâne se dégarnir en l'espace de quelques semaines. L'origine de sa vocation première se faisait la malle.

Un matin d'hiver lugubre et brumeux, il prit sa décision. Le ciel était bas dehors et les arbres nus. Un acheteur, un de ces acharnés qui ne reculent devant aucune outrance, avait eu raison de la patience de Raymond qui s'apprêtait à conclure la vente de la maison familiale (et du petit salon attenant). Ensuite, il se laisserait partir.

Mais c'est à la faveur d'un rayon de soleil oblique déchirant l'opacité environnante ce matin là, qu'il vit alors qu'il était sur le point de signer la vente ce qu'il reconnut immédiatement comme étant l'un de ses cheveux flottant, léger, dans le rai de lumière, comme en lévitation, dans une sorte de danse hypnotique pour finir par se poser sur son crâne nu. Il lâcha le stylo, s'en saisit silencieusement, le contempla respectueusement, et murmura seul au fond de son lit médicalisé : "Heureux de vous revoir, très cher".     
Ce fut le déclic. Il se mit en tête avec un enthousiasme retrouvé de retrouver chacun de ses cheveux, de les convaincre un à un de revenir prendre place sur son cuir chevelu redevenu accueillant comme au temps de sa splendeur et de sa chevelure ondulante de fils épais d'argent et d'or.

Regardez, vous voyez déjà la différence ?" assénait-il avec assurance à Ohiana d'une semaine à l'autre ?

Ohiana aimait le taquiner, elle se moqua gentiment de cette nouvelle lubie mais au fond elle était heureuse qu'il ait refusé de baisser les armes.

Elle souriait face à ses certitudes, mais souria de moins en moins constatant les progrès, voyant comment ce duvet s'était naturellement reformé, de façon homogène sur le haut du crâne. Elle était à présent subjuguée, persuadée qu'il avait secrètement commencé un traitement, elle chercha dans la pharmacie, dans les placard accessibles de la cuisine, mais ne trouva rien qui puisse donner une réponse rationnelle à ses questions.

A s'oublier de nouveau dans cette quête, avec passion, Raymond ne se vit pas retrouver du tonus musculaire dans les bras pour se déplacer, il ne se vit pas reperdre le poids superflu qu'il s'était infligé pendant sa convalescence. Il sentait lui-même comme la masse capillaire reprenait place sur son crâne, mû par l'amour qu'il témoignait à ces revenants (au fond jamais partis ailleurs que dans sa tête). Chaque matin puis chaque soir il prenait le temps de leur dire à chacun "merci d'être revenu", qu'il serait plus aimant à présent, que leur vie serait à nouveau une vie de cheveu alerte et heureux.
          
Un matin, il s'aperçut après coup, qu'il était sorti de son fauteuil et qu'il avait pu ramper tout seul jusque sous le lit de la petit chambre du Rez de chaussée pour parlementer avec un cheveu qui dormait là coincé dans une irrégularité du vieux plancher. Sans même s'en rendre compte, il avait retrouvé l'usage de ses jambes, il pouvait remarcher. Ses cheveux n'avaient pas fait que revenir, ils lui avaient sauvé la vie.

Après quelques semaines des rééducation, il rendit fous les médecins les plus optimistes qui jamais n'avaient imaginé qu'on puisse remarcher à son grand âge après pareil accident. Mais le plus incompréhensible pour les observateurs fut cette chevelure argentée qui était de retour sur le haut de son crâne. Dense, impénétrable et flamboyante.

Avec l'aide d'Ohiana, Raymond rouvrit son Salon qui avait tout ce temps dormi dans un glorieux passé, immobile, impeccable, rassurant, molletonné. Retour aux affaires qui coïncida avec le retour au premier plan du "vintage", du désir de proximité, de voisinage, de petits commerces indépendants d'antan... Chacun se détournait à présent des chaînes de restaurant ou de Salon de coiffure, on recherchait l'authenticité. De la personnalité. De l'originalité. On vint de partout, de France, puis du Monde pour découvrir, photographier et célébrer le Salon si mignon, "dans son jus", "envoûtant", "à l'état brut" (les titres de la presse locale, les commentaires extatiques sur internet), un voyage à lui tout seul vers un passé que personne n'avait connu mais que tout le monde semblait préférer... Ce petit lieu exigu, fonctionnel, chaleureux, avec ses fauteuils à mise en pli, ses longues bouteilles de laque imposantes, son vieux lecteur 33 tours d'où s'échappait du Grover Washington, ses Walkman d'antan posés sur les oreilles des clients pendant que Raymond retrouvait sa verve et les gestes amples et hypnotiques de sa grande époque.

Ohiana devint son assistante, son âme soeur, sa confidente, sa compagne, malgré la différence d'âge. Toutes ces épreuves avaient permis à Raymond de trouver de la place dans son coeur pour quelqu'un d'autre et pour autre chose que sa seule passion. Ils eurent ensemble un enfant qu'elle appela Ramuntcho (Raymond en Basque).

Il vécurent heureux tous les 5 (Sara, Ohiana, Romeo, Ramuntcho et Raymond) jusqu'à la fin de leurs jours. Lorsque Raymond fut parti, serein, la famille continua de perpétuer sa mémoire en créant en lieu et place du salon un petit musée dont le nom disait tout :

"Ici vécut Raymond, l'homme qui, un jour, murmura à l'oreille de ses cheveux"

samedi 1 août 2020

La légende de Koudoukoudé


Tout commence il y a fort longtemps. Comme chaque année, des pêcheurs Basques expérimentés, durs au mal, quittent au coeur d'un hiver rigoureux le Golfe de Gascogne pour aller traquer la Baleine. Le Chef de l'embarcation, le teigneux Iker Eskubar a de la suite dans les idées. Fort de premières expéditions couronnées de succès, il espère cette fois suivre à la trace et capturer une Baleine légendaire du nom de Koudoukoudé. Les anciens en parlaient souvent mais personne ne l'a jamais croisée. Il sait qu’il devra peut-être s'aventurer plus loin qu'aucun de ses prédécesseurs n’a jamais osé le faire...

 

Après de longues semaines d'observation et de patience sur des eaux inconnues, ils finissent par la repérer, Elle n'est pas seule. Elle est accompagnée de son petit : Pokédé. Ils la poursuivent nuit et jour, sans relâche, et au terme d'une lutte titanesque sur une mer démontée échouent à la terrasser. De nombreux hommes y laissent la vie. Parmi l'équipage, la révolte gronde face à l'entêtement maladif du commandant qui parvient à ramener un peu de calme en arrachant la vie du petit de Koudoukoudé.


Une maigre récompense, une insurmontable peine chez la maman qui jure de se venger. Iker Eskubar a la conviction que c'est durant ses trois jours et trois nuits de deuil et de larmes se mêlant à l'océan que naquit des tréfonds de Koudoukoudé puis de tous ses descendants, le fameux chant des Baleines. Une plainte déchirante, aux accents presqu'humains. Koudoukoudé a tant pleuré qu'elle en finit par émouvoir jusqu'au fond de l'air, y fait naître une brume épaisse sur un océan redevenu calme et silencieux.

 

Le terrible Iker Eskubar se perd dans ces vapeurs immobiles et pesantes, regarde impuissant ses hommes mourir un à un d'un mal étrange qui semble s'être insinué dans leurs poumons à la faveur de ce brouillard qui enveloppe toute vie. Rapidement, l'équipage est décimé, pris de quintes de toux, incapable de retrouver son souffle.

 

Dernier survivant de cette embarcation devenue charnier flottant (une image de ces corps entassés, pâles et raidis, ne le quittera plus jamais), Iker Eskubar se retrouve seul face à la dépouille de Pokédé, emmailloté, déjà gonflé des miasmes nés des profondeurs de son petit être.  Même à travers les filets tranchants comme un récif Pokédé semble le narguer.

 

La lame dans sa main brille lorsqu'il enjambe les corps. Un silence étrange s'est installé dans le brouillard, les couinements du bateau semblent rythmer les gestes comme mesurés, ritualisés, d'Eskubar. Lentement, respectueusement, il rompt les liens et sent les premières gouttes d'une pluie fraîche, matinale peut-être, sur ses joues, sur ses mains rougies du sang de Pokédé qui s'est incrusté dans les mailles et dans les sillons microscopiques de sa peau. L'oeil du petit de Koudoukoudé semble le fixer et ne plus le quitter, même entre deux eaux et malgré la brume qui rapidement l'engloutit à mesure qu'il prend congé d'Eskubar.

 

Alors ce dernier entend ce qu'il a tant espéré : la complainte de Koudoukoudé... Probablement qu'elle le remercie avant de disparaître de son horizon et tout à fait de sa vie, se dit-il.

 

La brume s'est dissipée. Une côte lui apparaît. On est aux premiers jours de l'an 927. Iker Eskubar est accueilli par les populations locales. Il est intégré, respecté. Il apprend leur langue, y incorpore quelques rudiments de Basque. Ainsi naîtra une espèce de dialecte local. Puis vient le temps, dès qu’il est en mesure de le faire, de raconter son histoire, le récit originel, à la source de tous les mythes racontant les sirènes. C'est pourtant bien de cet affrontement dont il fut question, de la vanité d'un homme, de sa cruauté, de sa capacité de résilience aussi, de remise en question qui permit une paix des braves mêlée d'amour maternel et de respect réciproque. 

 

Certains historiens sont allés jusqu'à affirmer qu'à l'origine du Radeau de la Méduse de Géricault (plus de 800 ans plus tard) il y a ce petit morceau horrifique pris dans l'oeil du survivant, la maladie soudaine frappant les occupants de l'embarcation, tableau terrifiant qui aurait traversé les siècles et marqué toutes celles et tous ceux qui en recueillirent le témoignage, ébranlés par la force singulière, apocalyptique de la vision d'un homme qui avait pu témoigner : Iker Eskubar.

lundi 18 mai 2020

Il était une fois 2 bouteilles


Le 11 mai 1981, une tempête d’une intensité exceptionnelle déchaîne les éléments à l’embouchure du Wouri, l’immense fleuve qui se jette dans le Golfe de Guinée. Le plus vieux porte-conteneurs du monde, le bien nommé Chariot des Dieux effectue sans le savoir son dernier voyage entre le port du Havre et celui de Douala, capitale économique du Cameroun.

Ce fameux lundi, c’est comme un tremblement de mer qui secoue les conteneurs et tout ce qu’ils contiennent comme des cocotiers. Ces petites particules élémentaires, marchandises, colis, paquets, cartons, véhicules, semi-remorques, se retrouvent soudain hachés menus, renversés, écrabouillés sous les effets de la houle et des creux immenses qui se forment à la surface du Wouri. Ca s’entrechoque, ça fait blam, ça fait crash, ça fait un vacarme de tous les diables. Certains finissent déformés, éventrés par la nature en furie, d’autres glissent et sont engloutis dans les eaux sombres du fleuve. La surchauffe dans la salle des machines entraîne bientôt une dangereuse avarie. Le gouvernail est livré à lui-même, le Chariot des Dieux à la dérive s’échoue sur une langue de sable lors d’une manœuvre désespérée pour éviter le pire.

Comme souvent après la tempête, le calme et le ciel bleu reprennent leurs places sur la baie. Une fois les évacuations du personnel effectuées, le bruit se répand comme la poudre sur la côte qu’une caverne d’Ali Baba flottante n’attend que le visiteur audacieux pour s’offrir à lui sans faire de difficultés. Les embarcations de fortune surgissent alors de nulle part, viennent de partout pour récupérer tout ce qui peut l’être. Une ruée vers l’eau. Ca grimpe à la courte échelle, ça dresse des cordages de fortune, ça vide et ça désosse le monstre des mers, vaincu par les éléments puis par tant de volontés agglutinées.

Dans l’un des conteneurs, le spectacle est celui d’un champ de bataille, le silence celui d’un cimetière. Des casiers et des casiers de Zapaldea retournés, emberlificotés, baignant dans une mélasse de liquide collant de sucre et de bris de verre. Du jus s’est répandu partout. Le lieu est encore hanté par l’écho du bruit que fait le verre quand il se brise en s’éparpillant. La Zapaldea est une boisson gazeuse à base de pomme au succès fulgurant à l’époque. Elle arrive d’Europe pour conquérir de nouveaux territoires, de nouveaux consommateurs. Et comme dans tout cataclysme, il y a les miraculés, les inoxydables, les incassables. Seules deux bouteilles ont échappé au massacre. Toutes leurs copines de casier sont en morceaux. Ces deux-là pourront témoigner si on leur en laisse le temps et le loisir.

De cet enfer et du choc provoqué par leur collision, elles ont gardé pour seul souvenir une entaille profonde chacune. Un impact précis. Et probablement que ce signe du ciel les aura rapproché. L’augmentation de la pression dans les bouteilles aurait pu provoquer leur décapsulage, mais non. Le choc a été comme une révélation, une étincelle. Un Big Bang intime. La naissance de quelque chose. Elles rêveront désormais l’une de l’autre, de se retrouver un jour prochain. D’échanger, de se rappeler que leurs histoires sont scellées par un destin commun. Hélas, dans la cohue, elles comprennent vite qu’elles sont amenées à probablement ne plus jamais se revoir et n’ont pas le temps de se dire les choses... Trop tard. Chacune est emportée par un pillard différent. 

L’une gagne l’enfer de la consigne, les obscurs réseaux de limonadiers, le trafic de la bouteille qui joue et rejoue sans cesse la même partition. A l’usine. L’embouteillage. Le lavage puis l’encapsulage. L’usine puis la brasserie. Le casier puis le ventre du client fatigué du vendredi soir. Enfin le retour à l’usine. Bref, la routine à sentir encore et encore l’haleine du buveur qui coupe son whisky avec du soda, à écouter les monologues sans queue ni tête des déprimés du week-end… Toujours dans un coin à ratiociner, à haranguer les petits coins sombres croyant y voir de méchants ennemis, cherchant à y rejouer les moments frustrants de la journée, à les tourner à son avantage tout en caressant du doigt cette petite fêlure sur le ventre de la bouteille sans savoir quelle en est l’histoire. L’étiquette d’origine a été remplacée 1000 fois, la boisson à base de pomme est rapidement remplacée par toutes sortes de sodas fabriquées localement dans les brasseries du quartier Bali. La forme de la bouteille est standard, l’étiquette facile à remplacer. Elle en aura vu de nouvelles compagnes d’usine finir réduites à l’état de tesson et parfois même par alimenter la rubrique faits divers bien malgré elles. Puis un jour elle finit par faire l’objet d’une commande juteuse de Top Pamplemousse. Le goût de la nouveauté, de l’aventure, la réveille. Embarquement pour l’Adamaoua, pour Ngaoundéré plus exactement. C’est de là qu’elle va même continuer son voyage jusqu’aux paysages fantomatiques et brûlants de Rhumsiki. Peut-être le plus bel endroit du monde. Où tout commence et tout finit. Mais elle reste mélancolique,  marquée à tout jamais par ce fameux jour où elle avait entendu tant d’hommes rire de cette prise inespérée sur le Chariot des Dieux aussi vite qu’ils s’étaient mis à pleurer la disparition d’un certain Bob Marley sans comprendre ce qui pouvait susciter chez eux tant d’émotion.

Pendant ce temps, l’autre survivante n’a pas eu le même destin. Un pêcheur n’appréciant guère son contenu a grimacé avant de la jeter négligemment sur la berge, route des singes. L’acidité de la pomme peut-être. A l’époque la route porte bien son nom. Des chimpanzés occupent toute la zone marécageuse, étirant leur royaume de mangrove en mangrove jusqu’à la frontière au Sud avec la Guinée Equatoriale. La bouteille va grossir le flot des ordures qu’Hysacam collecte dans toute la ville. La bouteille atterrit au sommet d’une montagne de déchets, C’est en réfléchissant la lumière du soleil qu’elle attire le regard immobile d’un fou, d’un original qui vit nu, non loin de là, sur les larges trottoirs longeant l’axe lourd au niveau du marché aux fleurs. Il va la chérir, la décorer, en faire une compagne de tous les instants lors de ses déplacements sans but dans la ville. Mais sa durée de vie (comme pour tous ces hommes qui ont un pied ici et un autre déjà de l’autre côté) sera brève, la faute à un grumier usé par les années, devenu incontrôlable. La bouteille se retrouve ainsi de nouveau seule, abandonnée sur un trottoir de Bonapriso, le quartier huppé. Une femme du monde allant faire ses soins au Mind Body and Soul arrête son chauffeur. Séduite par cette bouteille exhibant ses couleurs vives, elle descend de son rutilant 4*4, s’en saisit et la transforme bientôt en soliflore de circonstances pour ses soirées « glamour » entre copines. Lorsque la femme doit finalement retourner prématurément avec sa famille en France, elle confie la bouteille à une amie Camerounaise qui cherche alors des idées pour aménager avec goût et raffinement des boukarous dont elle a la gestion au coeur de la réserve de Wasa dans le Grand Nord. La bouteille finit par y trôner, remplie de couches de sables de toutes les couleurs dont regorgent les sols camerounais, en bonne place au milieu d’une table taillée dans un fromager centenaire.

Voilà qu’un beau jour, une famille en vacances s’installe dans le boukarou. Elle y installe ses affaires, les vivres et les boissons dans le réfrigérateur. Masa Ndi est venu avec ses parents, tous trois sont originaires de Bana, ville de la région de l’Ouest. Masa s’est réveillé très tôt ce matin-là. Le soleil se lève à peine. Ses parents, Joseph et Marguerite, dorment encore. Masa aime au petit matin aller dans le salon et poursuivre l’écriture de son histoire de zombie qui commence par un froid polaire recouvrant Douala et le retour à la vie d’ancêtres venus régler leurs comptes avec des descendants ayant oublié leurs traditions et négligé leurs racines au profit d’un modèle occidental pourtant en fin de course.

Le petit Masa s’interrompt. Il vient d’écrire le mot FIN. C’est qu’il avance vite quand il est seul. Quelques ratures et notes dans la marge y apparaissent ici et là. Il se dirige vers le frigo, en sort une bouteille de Top Pamplemousse, la décapsule, arrache la petite languette sous la capsule et réfrène un cri de joie, prenant soin de ne vouloir réveiller personne. Il vient de gagner une boisson gratuite dont le dessin apparaît sur l’envers de la capsule. Le petit impact vers le milieu de la bouteille, sous l’étiquette, ne tromperait pas l’observateur averti.

C’est curieusement lorsque Masa la pose sur la table à quelques centimètres de la bouteille décorative au centre de la table qu’il réalise à quel point les deux bouteilles sont semblables. Et chose plus étrange encore, il assiste alors à l’impensable.

Dans cet endroit, l’extrême nord, l’humidité n’existe pas. Vous pouvez perdre des litres d’eau mais vous ne transpirerez jamais. Ou plutôt vous ne vous verrez pas transpirer. Il se passe pourtant soudain une chose extraordinaire sous les yeux de l’enfant ébahi. Sa bouteille décapsulée fait apparaître progressivement sur son verre, des petites gouttelettes d’eau, comme sous l’effet de la condensation.

Il note le même phénomène sur l’autre bouteille décorée. L’enfant comprend que ces retrouvailles entre les deux bouteilles n’ont rien d’anodin. C’est l’émotion, les larmes de joie, de bonheur, qu’il voit émerger de la surface de leurs verres respectifs.

Le jeune homme s’efface alors discrètement. Elles ont probablement tant à se dire. Mais par où commencer ? Il croit d'ailleurs en rejoignant sa chambre entendre la petite voix fragile de l’une chuchoter à l’autre son histoire un peu folle jusqu’à ces retrouvailles qui ne le sont pas moins. Le soleil inonde à présent le salon. Le petit Masa revenu sur son lit écrit alors ces mots à la hâte : 

« Il était une fois deux bouteilles... »

Une nouvelle histoire est en train de naître sous sa plume.

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