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dimanche 9 août 2020

Le visiteur de 4H48


J'avais 16 ans. Des années plus tard, le rêve comme le réveil dans mon souvenir, ont le même éclat, la même noirceur lumineuse, cette sensation qu'ils eurent lieu l'un puis l'autre il y a seulement quelques heures. Je leur garde la familiarité de ces retrouvailles si particulières avec ces amis, rares, perdus de vue et qui vous donnent le sentiment qu'on les a quitté la veille.

Cette fameuse nuit, je suis expulsé d'un mauvais rêve, à la faveur d'un stratagème ingénieux. S'y joue ce que d'aucuns appellent un rêve lucide, j'ai mené ma petite enquête. Je me retourne donc pour la première fois dans le rêve histoire de faire face à mon poursuivant... Il est à mes trousses depuis des lustres me semble-t-il et mes gestes lents, gourds m'empêchent de prendre une avance décisive dans la course effrénée qui se joue sur un balcon étroit, tout en longueur, au 10ème étage d'un immeuble de Banlieue Ouest. La mer d'un bleu calme et profond menace calmement partout autour, d'autres immeubles dont le sommet vacille, léchés par la surface de l'océan à perte de vue, semblent sur le point d'être engloutis. Nous sommes tous les 2 perchés, aveuglés, sur ce sommet, un îlot des survivants au milieu de nulle part. Ecrasés de tout ce bleu. La créature me dévisage à présent, elle est toute proche. Je peux sentir son haleine fétide lorsque je lui dis mes yeux plongés dans les siens quelle a globuleux et rapprochés en l'absence de nez et de grâce pour dire la vérité :

- je sais parfaitement que je rêve et ce rêve, c'est le mien vous voyez, il n'est que le fruit de mon imagination, alors écoutez, je vais fermer les yeux là maintenant et me réveiller dans la foulée et nous n'en parlerons plus !

La chose a essayé de dire quelque chose... Rien de bien intelligible et c'est alors précisément que j'ai rouvert les yeux.

Il est 4h48. L'appartement est plongé dans l'obscurité, Vélizy dort et j'entends au loin quelques véhicules  filer dans la nuit profonde, je devine leurs conducteurs rêvant d'une cuisine faiblement éclairée, d'un morceau de quelque chose à se mettre sous la dent avant de rejoindre leurs draps chauds et de se glisser contre leur moitié, pleins et lourds, le ventre et la tête vides à part égale, avec une irrépressible envie de s'abandonner.

La douleur est encore vive malgré les points de suture. Les chairs de l'avant-bras sont à vif et je suis le seul à savoir que j'espérais secrètement qu'arrive le pire quand c'est arrivé. Sur un malentendu, ça peut régler pas mal de souffrances. Au départ il n'y a qu'une dispute un peu quelconque à l'internat, pendant l'heure d'étude, mais le prétexte est rêvé, le réflexe fatal. J'avais de rage frappé du poing dans la baie vitrée de la salle d'études, voilà tout.

Je rejoins la salle de bains. Je me souviens que l'appartement est vide (où sont alors mes parents ? je ne saurais le dire). Le vent souffle dehors, c'est l'automne, des feuilles volent entre les immeubles impeccablement ordonnés les uns par rapport aux autres. Pas de lumière à la fenêtre d'Elke, ma voisine exhibitionniste. Je n'ai pas pris le soin d'allumer quoi que ce soit, encore trop confus, le regard perdu quelque part sur le sol, du carrelage froid, à essayer de me rappeler (comme ces personnes frappée d'Alzheimer et qui luttent pour faire reculer la maladie en récitant à voix haute les numéros de téléphone de leur femme, de leurs enfants...) ce que mon agressseur avait essayé de me dire.

Je regarde quelque part entre mes deux pieds qui battent une mesure inaudible j'y vois cette forme minuscule, immobile mais qui semble être inerte à dessein. C'est mon ressenti. Elle n'a point l'intention de me révéler sa présence. Cette forme ne me rappelle rien de connu. Trop petit pour être un cafard, trop gros pour une fourmi. C'est une ombre. Peut-être n'est-ce qu'un bout de quelque chose qui se serait extrait avec moi de mon sommeil ? Je me demande alors ce que signifiait ce mauvais rêve puis je m'interroge : les objets inanimés ont-ils une âme ? Cette forme immobile ne serait-elle pas ici et maintenant sous mon nez pour me signifier de ne jamais me fier aux apparences ?  La lumière (un lampadaire) qui vient jusqu'à moi faiblement par la lucarne entrouverte de la salle de bain est la seule source fiable, diffuse, qui peut faciliter mon jugement. La fenêtre résiste au vent qui vient de s'engouffrer avec appétit par les béances qui l'encadrent lorsque mon regard revient sur la chose qui se déplace enfin, semble voler. je ne saurai jamais. Etait-ce le fait de sa volonté ou du courant d'air venu de la rue. J'ai rallumé la lumière, ratissé l'appartement. Rien.

Je garde néanmoins cette étrange impression que l'entité qui me fit face dans mon rêve était la même que celle, minuscule, qui me scruta depuis le carrelage froid. Je fus pris de cette conviction un peu folle que le visiteur de 4h48 comme le poursuivant dans mon rêve étaient un même spectateur ému, maladroit et désireux de me voir de plus près. De toucher du doigt son idole, de le ressentir, de le humer, de le dévorer d'un oeil ou même deux. De lui remonter le moral surtout... C'est une intuition furtive, l'espace d'un flash, j'ai acquis la certitude (qui ne m'a jamais quitté depuis) que chaque nuit nos rêves n'ont pas d'autres fonctions que de divertir la masse intergalactique d'extraterrestres cinéphiles, d'être projetés dans des salles obscures aux 4 coins de la galaxie pour ces spectateurs curieux et avides du prochain chef d'oeuvre sortie de nos cerveaux engourdis. Ce truc était un fan absolu venu m'expliquer qu'il avait encore besoin de ma présence au monde, que moi en vie, c'était des milliards de fans aux confins de la voie lactée qui ressentaient du bonheur. Il fallait leur en donner.

Je finis par me convaincre que Porrapossa (c'est le seul son que j'avais retenu de ce qu'il avait essayé de me dire au sommet du dernier immeuble dépassant de l'immensité aveuglante et bleutée juste avant que je ne prenne congé) avait préféré transgresser avec courage une loi cosmique réputée inviolable pour se réincarner dans cette bestiole qui n'avait évidemment rien de désirable et devait probablement vivre dans les canalisations suintantes de Vélizy, cette ville nouvelle, cité champignon des rebords de Paris. Et si j'avais pu susciter un tel désir de venir à ma rencontre, c'était que je devais avoir quelques qualités qui m'échappaient encore totalement. C'est ainsi que j'ai lentement mais sûrement pu reconstruire un peu d'amour propre et de confiance en moi.

C'est pourquoi je profite de ce témoignage pour lui dire ceci : où que tu sois,  petit visiteur de 04h48 cette nuit-là, laisse-moi te dire merci car je ne fus plus jamais le même après. Et chaque fois que je m'endors depuis, je sais que mes rêves qui vous tiennent lieu de blockbusters dans les salles obscures de vos mondes lointains y sont attendus, espérés comme le prochain James Bond. Arrivederci mon cher fan. Nous nous retrouverons tôt ou tard. J'en fais le serment. Foi de Porrapossa.             

Liem Ndjara


Il était étrange Yves.
Il nourrissait son trou.
Chacun se moquait de lui. La fratrie et le voisinage.
Mais Yves n'en avait cure, il remplissait son trou. Une cavité qu'il avait creusée, jour après jour au fond d'un ravin. Un terrain dont il avait hérité, en pente, inexploitable d'après les experts, où dormaient des arbres paisibles, centenaires, abritant un petit sous-bois vert et mousseux.  C'est là tout au fond qu'il avait trouvé un énorme caillou dans son esprit le sommet d'une montagne du dessous, invisible. Patiemment année après année, il y avait creusé sans se presser un abri rocheux, frais, humide. Son accès vers l'en-delà. Et cela le comblait de joie.

Il était issu d'une famille aisée de l'aristocratie Camerounaise. Ses parents avait érigé une Chapelle sur leur concession, vaste et verdoyante. San fin pouvait-on déduire de ces champs et forêts s'étendant à perte de vue de tout côté dont chacun répétait comme le fou assommé par la chaleur de midi "Ca leur appartient" "Ca leur appartient" "C'est toujours aux Sick" "Leur propriété semblait ne jamais finir. Chacun était très croyant dans sa famille comme dans le village qui s'était construit pour ainsi dire autour de la chapelle et du patriarche (qu'on appelait "le père Sick"). Il avait été maire de son village puis ministre de la République puis de nouveau maire (à vie) lorsque l'âge avait repris ses droits.

Et puis un jour, la guigne fut venue, le père de famille perdit pied, fut retrouvé inerte "dans de beaux draps"  probablement en compagnie d'une jeune fille trop jeune.

Il fallut cacher la chose malgré la rumeur qui enflait déjà dans le village puis partout dans le pays. Le ver était dans le fruit. On précipita les funérailles pour éviter le scandale et chacun des enfants, également rongés d'ambition, eut tout juste le temps de se mettre en ordre de bataille pour capter le plus gros de l'héritage.

On laissa Yves à son trou, son rocher, ses lubies "d'enfant de la retraite". Sa mère était morte en couche et l'avait eu très tard (40 ans passés) pour faire plaisir au "chef de famille" qui, superstitieux, se voyait probablement garder une insolente jeunesse à travers cette énième paternité.
       
Pendant ce temps, la fratrie se déchira, s'annihila, s'affaiblit, on se ressouda brièvement face aux enfants illégitimes venus réclamer leur part puis la discorde reprit de plus belle. On s'étripa, on se répartit les plus belles parties du royaume. On construisit, on étendit, on coupa des arbres qui avait mis des siècles à pousser, on se compara les uns aux autres en essayant d'être plus beau, plus grand, plus raffiné... Les parcelles devinrent stériles, la terre abîmée par ce qu'on avait voulu y mettre pour accélérer leur rendement, booster les profits qu'on pouvait en espérer.

L'un des enfants illégitimes, une jeune femme exclue du partage, devint redoutable en affaires. Aussi belle et désirable qu'elle était sans pitié, faisant de cette blessure l'étincelle d'une vie, animée par une soif de vengeance contre cette famille qui l'avait refusée. Elle se fit appeler LIEM NDJARA. COmme on disait : "Elle allait faire mal. Dans tous les sens du terme. Sublime et dangereuse.

Elle épousa un pantin, héritier d'une coquette fortune de notables d'un village voisin, et dans le plus grand secret mena son projet de destruction... Lentement mais sûrement, pendant que les héritiers en face annulaient leurs forces au lieu de les conjuguer, s'épuisaient dans d'interminables joutes où l'argent filaient dans les poches d'avocat véreux prêts à tout pour se nourrir sur la bête, elle construisit son petit empire avec le secret dessein de semer le chaos dans le camp d'en face.  

Comme souvent, les grands réussites sont monstruosités nées de sentiments obsessionnels mal dirigés... Pendant que la famille Sick s'affaissait lentement, LIEM émergeait, grandissait, fourbissait ses armes, rachetait une à une toutes les parcelles. Officiellement elle était cette femme qui avait tout pour elle, intelligente, drôle, autodidacte, indépendante, redoutable en affaires, venue disait-on de grand Est Africain.. Elle figurait désormais parmi les 10 plus grandes fortunes du continent.

Les enfants Sick, trop douillets, ayant côtoyé de trop près les divertissements royaux de ce bas monde, les grande écoles européennes, les bonnes manières qui vous ôtent toute lucidité lorsque l'heure de la guerre a sonné, furent un à un retourné, détroussé, mis à nu, jeté à la rue.

Lorsqu'ils comprirent, il était trop tard. Lien finit par leur expliquer à chacun les raisons profondes de leur déchéance qu'elle n'avait fait qu'accélérer.

Le jour vint où elle put enfin savourer sa vengeance, au dernier étage de la tour la plus haute du continent qu'elle avait fait ériger à l'endroit exact où feu "Père Sick" avait bâti sa rutilante maison familiale devenue plus tard la mairie du village. En rasant tout, sa victoire était totale. Éclatante.

Mais rapidement, quelque chose n'alla pas... Elle se sentait étrangement triste et consulta le vieux guérisseur, Maboura. Lui voyait clair. La quête de Liem ne serait achevée que lorsqu'elle aurait chassé Yves après lui avoir racheté son bout de rien. Il avait beau être marginal, il n'en était pas moins un Sick et le dernier rejeton de la famille..

Elle partit à sa rencontre en misant sur sa cupidité. Elle lui proposa une somme faramineuse pour quitter l'endroit. Mais il refusa. Elle était agacée de constater qu'il était joyeux et positif, tout le temps.

Elle passa la vitesse supérieure et fit déverser les ordures de toute la sous-région dans le trou d'Yves pour l'empuantir et forcer son occupant au départ. Mais rien n'y fit. L'odeur était pour peu dans la plénitude que ressentait Yves a cet endroit.
 
Elle eut alors l'idée de jouer la carte de la foi et envoya un prêtre le convaincre de prier les dieux du ciel, de se tourner vers l'église. Vénérer une idole du dessous ? Quelle idée ! C'est vers les cieux qu'il devait tourner son regard, chercher la présence du tout-puissant quelle qu'eut été sa forme, son visage ; le firmament était un lieu décent, conçu pour les Dieux. Propre, ouvert aux 4 vents, une porte vers les étoiles. Mais Yves resta sourd à ces appels.

Elle chargea une agence de communication de salir la réputation d'Yves, l'accusant publiquement d'hérésie, de connivence avec les forces du mal, d'être à l'origine des moindres malheurs de la communauté. elle aurait voulu que la foule s'empare du problème et le chasse mais personne ne lui en voulait et personne ne crut aux rumeurs qu'on faisait courir sur un homme qui restait étonnamment joyeux, respectueux des autres et focalisé sur sa routine mystique (nourrir quotidiennement son jardin secret, sa grotte) sans jamais déranger quiconque.

LIEM eut alors des idées de meurtre et fit offrir des mets infectés qu'Yves, naïf, accepta de bon coeur. Il tomba gravement malade mais fut sauvé par les piqures inlassablement répétées d'abeilles voisines qui décédèrent ensuite. LIEM comprit que même les abeilles se sacrifiaient pour Yves. Il avait avec lui la protection des insectes et des animaux, prompts à intervenir au premier danger.

Alors LIEM fit envoyer des tueurs une nuit mais il ne trouvèrent point l'accès de son abri et furent en outre chassés du lieu par une nuée de chauve-souris.

Folle de rage, LIEM décida pour finir de faire empoisonner l'eau du petit ruisseau qui descendait vers la demeure d'Yves. Mais l'eau était aussi l'eau qui rejoignait les rivières et les puits de la région. les sols furent contaminés, la végétation mourut, les habitants furent frappés de maladies, tous durent quitter les lieux. Mais Yves était toujours là, aimant, debout. Indéboulonnable.

Le mal s'était abattu partout autour affectant les hommes, les cultures qui étaient venues à disparaître. La fin d'un monde était proche. LIEM resta seule au sommet de son empire, reine sans sujets, reine sans esclaves, reine sans titre, dominant la pierre et la ruine.. Elle pleura longtemps, réalisant qu'il n'y avait plus qu'elle et Yves sur cette terre dépeuplée.

Elle décida donc un matin d'aller s'aventurer dans cette fosse à purin où longtemps l'on avait jeté ses déchets, ses peaux de bananes, ses saletés pour faire fuir Yves. Il ouvrit une porte dérobée dans la roche et aussi les bras. Elle s'effondra, émue de trouver enfin l'amour fraternel qu'elle avait cherché tout ce temps sans le savoir. Il ne lui en voulait pas le moins du monde. C'est qu'il avait bon coeur Yves.
     
Liem découvrit émerveillée cette grotte au fond de laquelle Yves avait déposé des offrandes au pied d'une idole qui n'était qu'un petit objet de métal en forme de clou tordu et rouillé. Il tenait ce souvenir de sa maman, son seul souvenir, que lui avait remis ses frères à sa mort (ces derniers avaient gardé l'or, l'argent, les titres). Yves avait consacré sa vie à cette maman qu'il n'avait jamais connu en installant dans cet abri rocheux un autel à sa mémoire. 

Et ce faisant, il y avait patiemment accumulé conserves, lecture, jeux de société, bouteilles d'eau minérale vides, jetées, qu'il avait patiemment remplies d'eau de source d'avant l'empoisonnement des sols et de cette dernière, de quoi subsister quelques vies sans l'aide de personne. Son obstination à honorer le souvenir de sa mère fut tel qu'à présent il y avait de quoi accueillir LIEM NDJARA et toutes celles et tous ceux qui les rejoindraient bientôt pour vivre heureux, loin des affres de l'Ego jusqu'à la fin des temps.

samedi 8 août 2020

L'homme qui, un jour, murmura à l'oreille de ses cheveux


Raymond, un homme dont chacun louait la beauté lorsqu'il avait 16 ans, faisait l'objet d'une admiration toute particulière pour sa crinière de feu au volume royal, créature presque vivante, aux mouvements naturels qui inspiraient autour de lui un amour sans réserves. En conséquence de quoi il choisit d'en faire le métier d'une vie et devint Coiffeur-Visagiste, Une passion nourrie de ce qu'il avait de si beau sur le sommet du crâne.

Il commença son activité en créant le 11 décembre 1973 un petit salon sur la place de l'église de son village sur les bords de l'Adour. L'ancien garage de la maison familiale fut transformé pour l'occasion. Il y connut ses grandes heures, y eut d'illustres clients : chaque été, Roland Barthes et toute l'année sa maman, occasionnellement les Frères Gomez, architectes reconnus de la région mais aussi François-Maurice Roganeau, peintre et prix de Rome dans la fraîcheur du XXème siècle. Même Pierre Benoît, auteur célèbre de l'Atlantide, était venu se faire coiffer entre deux voyages vers le lointain. Plus récemment, on comptait Jacques Martin ou les propriétaires cossus du Château de Montpellier sur Adour à Saint Laurent de Gosse. Ce fut l'âge d'or du petit salon de Raymond dont l'enseigne indiquait avec modestie "Salon de Coiffure".

Le temps fila, le village s'agrandit, devint banlieue périphérique puis dortoire de Bayonne, d'Anglet, de Biarritz où les loyers étaient devenus hors de prix, où l'on ne trouvait plus à se loger. Les us et coutumes avaient également changé, le fleuriste, le Guyenne et Gascogne, le point presse, l'Auto-école, le pressing, tout avait fermé, remplacés par le tout en un, le centre commercial couteau suisse visant par le trafic et le remplissage de son parking à ciel ouvert à rentabiliser son investissement en attirant le gros des bourses de tous les foyers du village.

Raymond dut s'adapter, il se serra la ceinture mais conserva le noyau dur de sa clientèle historique, et put continuer à vivre, même chichement de son activité. Mais la vie fit son oeuvre et ses clients d'avant, les plus fidèles, il ne les croisa plus qu'au cimetière ou au détour d'une conversation avec des survivants de cette époque où le village était village, où l'on y venait pour ce qu'il était, pas pour chercher un jardin ou des loyers plus abordables. Rapidement les nouveaux habitants rattrapés par l'atavisme et la nostalgie de la ville plus grande retournèrent se faire coiffer dans les "grands salons" de Bayonne, Anglet ou Biarritz, dans les chaînes naissantes, les franchises cavaleuses... Raymond en fit naturellement les frais.

Une maison de retraite ainsi qu'un foyer de jeunes en difficulté virent le jour en lieu et place de fermes abandonnées après l'exode rural des familles "historiques" du coin ou simplement suite à une discorde au sein d'une fratrie à l'heure fatidique de se partager l'héritage.

Poussé par la nécessité, Raymond dut se convertir à la voiture qu'il acheta d'occasion (une Volvo 464 automatique gris métallisé) dans le garage du gentil Sangla sur la montée qui reliait la voie ferrée au centre du village, juste en face du pont qui faisait se rejoindre les Landes et le Pays Basque. Il passa son permis, s'acheta le nécessaire portatif, plus léger, et son Salon de Coiffure devint un Mobil Home Urtois, le service à domicile ! Il fallait bien continuer à vivre de sa passion. Mais il refusa coûte que coûte de vendre et de laisser à d'autres son salon. C'était son petit sanctuaire dont il n'entendait se débarrasser pour rien au monde. Sur ce point, il serait intraitable ! On avait beau lui répéter qu'un cheval à l'écurie ne servait à rien, que ce salon ne produisait plus rien et n'avait donc pas d'intérêt à rester ainsi, vide, poussiéreux, et figé dans un passé révolu, il resta ferme, imperturbable. Il avait fait le choix de cette passion, de ce métier, de ce salon qui avait pris toute la place, n'en avait laissé aucune même pour quelqu'un avec qui partager sa vie. Tout était là.

Un beau jour, un de ces merveilleux jours lumineux où rien ne peut vous arriver de grave, sur l'un de ces trajets qu'il connaissait par coeur, pour aller à la rencontre d'un client qui habitait les bords de l'Ardanavy, il eut cette inattention fatale entraînant la sortie de route qui le laissa sans voiture et pire : paraplégique.

Il ne se souvenait de rien à son réveil. Sauf qu'il était de nouveau chez lui, une infirmière aux petits soins venant chaque jour pour l'aider à domicile. Ohiana. Elle venait le lundi et le mercredi. le massait, drainait son corps meurtri et faisait aussi la vaisselle et un peu de ménage. Ils avaient drôlement sympathisé et les photos de ses deux enfants qu'elle élevait seule trônaient déjà sous des magnets sur le frigo de Raymond : Sara et Romeo. 

Une vie d'invalidité commença avec ce qu'il vient toujours de difficultés, d'isolement, de déprime. Lui qui était si entouré, si enjoué, si délicat, si attentionné, si autonome, si digne, si fier, il était désormais seul, incapable et immobile. Heureusement il y avait Ohiana qui essayait, faisait ce qu'elle pouvait pour le distraire, lui rendre le sourire. Raymond avait déjà près de 75 ans.

Et comme si cela n'avait pas suffi, il vit avec horreur au début de l'automne son cheveu devenir terne, fin, cassant, son crâne se dégarnir en l'espace de quelques semaines. L'origine de sa vocation première se faisait la malle.

Un matin d'hiver lugubre et brumeux, il prit sa décision. Le ciel était bas dehors et les arbres nus. Un acheteur, un de ces acharnés qui ne reculent devant aucune outrance, avait eu raison de la patience de Raymond qui s'apprêtait à conclure la vente de la maison familiale (et du petit salon attenant). Ensuite, il se laisserait partir.

Mais c'est à la faveur d'un rayon de soleil oblique déchirant l'opacité environnante ce matin là, qu'il vit alors qu'il était sur le point de signer la vente ce qu'il reconnut immédiatement comme étant l'un de ses cheveux flottant, léger, dans le rai de lumière, comme en lévitation, dans une sorte de danse hypnotique pour finir par se poser sur son crâne nu. Il lâcha le stylo, s'en saisit silencieusement, le contempla respectueusement, et murmura seul au fond de son lit médicalisé : "Heureux de vous revoir, très cher".     
Ce fut le déclic. Il se mit en tête avec un enthousiasme retrouvé de retrouver chacun de ses cheveux, de les convaincre un à un de revenir prendre place sur son cuir chevelu redevenu accueillant comme au temps de sa splendeur et de sa chevelure ondulante de fils épais d'argent et d'or.

Regardez, vous voyez déjà la différence ?" assénait-il avec assurance à Ohiana d'une semaine à l'autre ?

Ohiana aimait le taquiner, elle se moqua gentiment de cette nouvelle lubie mais au fond elle était heureuse qu'il ait refusé de baisser les armes.

Elle souriait face à ses certitudes, mais souria de moins en moins constatant les progrès, voyant comment ce duvet s'était naturellement reformé, de façon homogène sur le haut du crâne. Elle était à présent subjuguée, persuadée qu'il avait secrètement commencé un traitement, elle chercha dans la pharmacie, dans les placard accessibles de la cuisine, mais ne trouva rien qui puisse donner une réponse rationnelle à ses questions.

A s'oublier de nouveau dans cette quête, avec passion, Raymond ne se vit pas retrouver du tonus musculaire dans les bras pour se déplacer, il ne se vit pas reperdre le poids superflu qu'il s'était infligé pendant sa convalescence. Il sentait lui-même comme la masse capillaire reprenait place sur son crâne, mû par l'amour qu'il témoignait à ces revenants (au fond jamais partis ailleurs que dans sa tête). Chaque matin puis chaque soir il prenait le temps de leur dire à chacun "merci d'être revenu", qu'il serait plus aimant à présent, que leur vie serait à nouveau une vie de cheveu alerte et heureux.
          
Un matin, il s'aperçut après coup, qu'il était sorti de son fauteuil et qu'il avait pu ramper tout seul jusque sous le lit de la petit chambre du Rez de chaussée pour parlementer avec un cheveu qui dormait là coincé dans une irrégularité du vieux plancher. Sans même s'en rendre compte, il avait retrouvé l'usage de ses jambes, il pouvait remarcher. Ses cheveux n'avaient pas fait que revenir, ils lui avaient sauvé la vie.

Après quelques semaines des rééducation, il rendit fous les médecins les plus optimistes qui jamais n'avaient imaginé qu'on puisse remarcher à son grand âge après pareil accident. Mais le plus incompréhensible pour les observateurs fut cette chevelure argentée qui était de retour sur le haut de son crâne. Dense, impénétrable et flamboyante.

Avec l'aide d'Ohiana, Raymond rouvrit son Salon qui avait tout ce temps dormi dans un glorieux passé, immobile, impeccable, rassurant, molletonné. Retour aux affaires qui coïncida avec le retour au premier plan du "vintage", du désir de proximité, de voisinage, de petits commerces indépendants d'antan... Chacun se détournait à présent des chaînes de restaurant ou de Salon de coiffure, on recherchait l'authenticité. De la personnalité. De l'originalité. On vint de partout, de France, puis du Monde pour découvrir, photographier et célébrer le Salon si mignon, "dans son jus", "envoûtant", "à l'état brut" (les titres de la presse locale, les commentaires extatiques sur internet), un voyage à lui tout seul vers un passé que personne n'avait connu mais que tout le monde semblait préférer... Ce petit lieu exigu, fonctionnel, chaleureux, avec ses fauteuils à mise en pli, ses longues bouteilles de laque imposantes, son vieux lecteur 33 tours d'où s'échappait du Grover Washington, ses Walkman d'antan posés sur les oreilles des clients pendant que Raymond retrouvait sa verve et les gestes amples et hypnotiques de sa grande époque.

Ohiana devint son assistante, son âme soeur, sa confidente, sa compagne, malgré la différence d'âge. Toutes ces épreuves avaient permis à Raymond de trouver de la place dans son coeur pour quelqu'un d'autre et pour autre chose que sa seule passion. Ils eurent ensemble un enfant qu'elle appela Ramuntcho (Raymond en Basque).

Il vécurent heureux tous les 5 (Sara, Ohiana, Romeo, Ramuntcho et Raymond) jusqu'à la fin de leurs jours. Lorsque Raymond fut parti, serein, la famille continua de perpétuer sa mémoire en créant en lieu et place du salon un petit musée dont le nom disait tout :

"Ici vécut Raymond, l'homme qui, un jour, murmura à l'oreille de ses cheveux"

samedi 1 août 2020

La légende de Koudoukoudé


Tout commence il y a fort longtemps. Comme chaque année, des pêcheurs Basques expérimentés, durs au mal, quittent au coeur d'un hiver rigoureux le Golfe de Gascogne pour aller traquer la Baleine. Le Chef de l'embarcation, le teigneux Iker Eskubar a de la suite dans les idées. Fort de premières expéditions couronnées de succès, il espère cette fois suivre à la trace et capturer une Baleine légendaire du nom de Koudoukoudé. Les anciens en parlaient souvent mais personne ne l'a jamais croisée. Il sait qu’il devra peut-être s'aventurer plus loin qu'aucun de ses prédécesseurs n’a jamais osé le faire...

 

Après de longues semaines d'observation et de patience sur des eaux inconnues, ils finissent par la repérer, Elle n'est pas seule. Elle est accompagnée de son petit : Pokédé. Ils la poursuivent nuit et jour, sans relâche, et au terme d'une lutte titanesque sur une mer démontée échouent à la terrasser. De nombreux hommes y laissent la vie. Parmi l'équipage, la révolte gronde face à l'entêtement maladif du commandant qui parvient à ramener un peu de calme en arrachant la vie du petit de Koudoukoudé.


Une maigre récompense, une insurmontable peine chez la maman qui jure de se venger. Iker Eskubar a la conviction que c'est durant ses trois jours et trois nuits de deuil et de larmes se mêlant à l'océan que naquit des tréfonds de Koudoukoudé puis de tous ses descendants, le fameux chant des Baleines. Une plainte déchirante, aux accents presqu'humains. Koudoukoudé a tant pleuré qu'elle en finit par émouvoir jusqu'au fond de l'air, y fait naître une brume épaisse sur un océan redevenu calme et silencieux.

 

Le terrible Iker Eskubar se perd dans ces vapeurs immobiles et pesantes, regarde impuissant ses hommes mourir un à un d'un mal étrange qui semble s'être insinué dans leurs poumons à la faveur de ce brouillard qui enveloppe toute vie. Rapidement, l'équipage est décimé, pris de quintes de toux, incapable de retrouver son souffle.

 

Dernier survivant de cette embarcation devenue charnier flottant (une image de ces corps entassés, pâles et raidis, ne le quittera plus jamais), Iker Eskubar se retrouve seul face à la dépouille de Pokédé, emmailloté, déjà gonflé des miasmes nés des profondeurs de son petit être.  Même à travers les filets tranchants comme un récif Pokédé semble le narguer.

 

La lame dans sa main brille lorsqu'il enjambe les corps. Un silence étrange s'est installé dans le brouillard, les couinements du bateau semblent rythmer les gestes comme mesurés, ritualisés, d'Eskubar. Lentement, respectueusement, il rompt les liens et sent les premières gouttes d'une pluie fraîche, matinale peut-être, sur ses joues, sur ses mains rougies du sang de Pokédé qui s'est incrusté dans les mailles et dans les sillons microscopiques de sa peau. L'oeil du petit de Koudoukoudé semble le fixer et ne plus le quitter, même entre deux eaux et malgré la brume qui rapidement l'engloutit à mesure qu'il prend congé d'Eskubar.

 

Alors ce dernier entend ce qu'il a tant espéré : la complainte de Koudoukoudé... Probablement qu'elle le remercie avant de disparaître de son horizon et tout à fait de sa vie, se dit-il.

 

La brume s'est dissipée. Une côte lui apparaît. On est aux premiers jours de l'an 927. Iker Eskubar est accueilli par les populations locales. Il est intégré, respecté. Il apprend leur langue, y incorpore quelques rudiments de Basque. Ainsi naîtra une espèce de dialecte local. Puis vient le temps, dès qu’il est en mesure de le faire, de raconter son histoire, le récit originel, à la source de tous les mythes racontant les sirènes. C'est pourtant bien de cet affrontement dont il fut question, de la vanité d'un homme, de sa cruauté, de sa capacité de résilience aussi, de remise en question qui permit une paix des braves mêlée d'amour maternel et de respect réciproque. 

 

Certains historiens sont allés jusqu'à affirmer qu'à l'origine du Radeau de la Méduse de Géricault (plus de 800 ans plus tard) il y a ce petit morceau horrifique pris dans l'oeil du survivant, la maladie soudaine frappant les occupants de l'embarcation, tableau terrifiant qui aurait traversé les siècles et marqué toutes celles et tous ceux qui en recueillirent le témoignage, ébranlés par la force singulière, apocalyptique de la vision d'un homme qui avait pu témoigner : Iker Eskubar.

La disparition mystèrieuse de Mascotto Biscoto

La mascotte de la Coupe du Monde 2038 au Maroc a disparu. Qui sont les responsables ? Qui a commis cet acte ignoble ? Où est-elle passée ? L...