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lundi 18 mai 2020

Le chêne rouge, le Saule pleureur et la petite araignée


Galharria est une maison de vacances inoccupée le plus clair de l’année. Tout au fond du jardin, derrière une haie de sapins se devine par-delà les herbes folles un verger au centre duquel trône un vieux puits désaffecté. Il est là pour témoigner d’un glorieux passé, d’un lieu de communion où durent s’improviser en des temps reculés de somptueux déjeuners à l’ombre de grands arbres fruitiers. De là, un chemin tortueux mène jusqu’au creux de la vallée en traversant un petit bois où paraissent dormir des chênes centenaires, de vieux sages ayant un regard lucide sur le monde des hommes. Et tout en bas coule une rivière dont la musique légère flatte les oreilles.

On raconte qu’il y a fort longtemps un homme puissant possédait ces terres. Il n’aurait pas supporté qu’une jeune femme du village, Graciane lui résiste en refusant ses avances. C’est qu’elle lui préférait Gaston, son amour d'enfance. L’homme jaloux puis vexé aurait sollicité une puissante sorcière de Zagarramurdi pour le venger de cet affront. Cette dernière transforma les amoureux en arbres. La légende rapporte que Gaston fut changé en chêne rouge, Graciane en Saule pleureur. La méchante sorcière prit le soin d’effacer la mémoire de cette dernière et de creuser une profonde rivière entre elle et Gaston pour mieux les narguer, empêchant jusqu’à leurs racines de se rejoindre.

Et pour le promeneur attentif, le cueilleur de cèpes du petit matin, le saule pleureur et le chêne rouge sont encore là. Chacun sur sa rive. Face à face. Le chêne rouge espérant qu’un jour prochain il puisse enfin retrouver Graciane, la toucher, la sentir sous ses feuilles ou ses branches, seule condition pour mettre fin à la malédiction.

Le chêne rougeoie de mille feux depuis les premiers jours du printemps. Son port altier, sa stature de pilier donne le sentiment qu’il veille constamment sur le Saule pleureur. Une femme semble y cacher sa tristesse derrière l’épaisse chevelure de ses branches lianes qui viennent mourir dans les eaux glacées du cours d’eau, seul témoin depuis l’origine de cet amour impossible.

Gaston le chêne rouge n’a pas dit son dernier mot. Il est tenace, il a de la suite dans les idées. Ainsi a-t-il dès le début concentré toute sa force, toute sa sève dans la branche la plus basse, la plus épaisse, pour que celle-ci comme un bras tendu grandisse en direction de l’autre rive, franchisse l’obstacle, rejoigne et enlace Graciane. Année après année, les minuscules avancées, millimètre après millimètre, saison après saison, ont commencé à porter leurs fruits. La branche franchit presque le cours d’eau désormais. « Plus que quelques années » se  répète Gaston, habité par une foi inébranlable.

Mais la grande tempête du mois de mars a eu raison de ses derniers espoirs. La foudre s’est abattue sur l’arbre coupant net la branche. Sa tentative longue de plusieurs siècles de patience vient d’échouer. Gaston sait bien qu’il mourra bien avant qu’une nouvelle branche ait le temps de repousser puis d’atteindre l’autre rive. Son rêve de serrer de nouveau son amour contre lui est en train de s’éteindre. Affaibli, Gaston commence à sentir ses forces le quitter. Il est même tombé malade, commence à perdre ses feuilles, ses extrémités se dénudent du côté de la cime, commencent à blanchir comme les tempes d’un vieillard. 

Puis c’est l’été qui est arrivé, apportant avec lui la canicule. L’absence de feuillage sur les hauteurs fragilise le petit monde qui vit depuis longtemps sous la protection de Gaston, le soleil s’y installe, la température y grimpe. Tous ses habitants, chenilles, piverts, écureuils, fourmis, araignées, commencent à préparer leur départ, conscients de la disparition prochaine de leur habitat. Gaston les regarde partir, les uns après les autres, ses compagnons le quittent, persuadés qu’il est victime de son grand âge et que l’herbe sera plus verte ailleurs. 

Aucun n’est vraiment conscient de la véritable origine de sa maladie. La maladie d’amour. Aucun sauf Pitchote, la petite araignée solitaire, curieuse et observatrice qui a remarqué comment la plus grande branche, celle qui s’est brisée net après la tempête du mois de mars, lui avait semblé viser patiemment la rive d’en face, pointant comme un doigt dans la direction du Saule pleureur. En tombant, elle a créé comme une passerelle naturelle au-dessus du cours d'eau. Pitchote est une rêveuse qui s’est toujours sentie inutile, en décalage avec le monde tel qu’il semble aller. Mais elle croit aux signes. Elle est à l’écoute des bruissements de la nature, certaine qu’en étant attentive, elle saura déchiffrer des messages qui lui sont secrètement adressés. Et c’est justement ce qui se produit. Alors que tous les habitants sont partis à l’assaut d’un autre chêne centenaire comme il s’en trouve plus loin sur la propriété de Galharria, Pitchote décide d’emprunter la branche morte pour partir explorer le Saule pleureur à la recherche d’une explication : elle veut comprendre ce que la branche du chêne rouge avait semblé vouloir lui murmurer tout bas.

La petite enquêtrice effectue plusieurs allers-retours, entêtée, cherchant de nouveaux indices, à la recherche d’un paysage, d’un nouvel angle de vue, d’une odeur différente, d’un fruit inconnu, d’une rencontre inattendue, tout élément ayant pu susciter la curiosité du chêne et justifié ses efforts. Mais elle ne voit pas immédiatement que l’objet de la quête était le Saule tout entier. Graciane dans sa totalité. Elle réalise en revanche avec bonheur que depuis qu’elle effectue ses voyages d’un arbre vers l’autre, sans jamais faiblir, le chêne rouge reverdit, il retrouve ses feuilles, de la vitalité. Pitchote comprend qu’en tissant de ses fils dorés une multitude de toiles entre les deux arbres pour aménager des chemins nouveaux, c’est elle qui est en train de permettre au miracle de se produire. Grâce à elle, Gaston peut à nouveau de fil en fil, sentir contre lui les vibrations de son amour de toujours, contribuer à son réveil. Il a même semblé à Pitchote entendre sous l’écorce du Saule le souffle de Graciane qui s’extrayait d'un long sommeil.

Il paraît que depuis ce miracle, on entend parfois la nuit l’écho du rire joyeux des deux amoureux dans le village tout près. Si vous vous aventurez par-delà la clôture de Galharria, et que vous marchez jusqu’au ruisseau, tout en bas de la vallée, que vous prenez le temps de vous reposer à l’ombre du Chêne rouge ou du Saule pleureur, vous trouverez en scrutant attentivement la surface de leurs écorces le même cœur gravé composé de deux G à l'envers imbriqués.

Quant à Pitchote, on dit qu’elle partage une vie très active entre le chêne rouge et le Saule pleureur, qu’elle est sollicitée comme jamais par tous les habitants de la forêt qui reconnaissent en elle des dons utiles à la communauté et viennent parfois de très loin pour bénéficier de ses précieux conseils.

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